La France au Combat
L'Appui au Débarquement en Normandie
Une des tâches importantes et délicates de l'état-major des Forces Françaises de l'intérieur (EMFFI) était de persuader les chefs militaires que la Résistance pourrait être efficace dans les combats et leur apporter un appui utile notamment lors du débarquement. Cela fut lent à être admis jusqu'à une scène qui s'est passée dans la War Room de l'état-major, là où les cartes pendaient au mur et où des jeunes filles indiquaient la progression des troupes, selon les messages reçus de France. Les innombrables télégrammes clandestins disaient tous : "Mission accomplie", "Mission accomplie"... Les officiers alliés regardaient les officiers français... Qu'est-ce que cela voulait dire ?
Un jour, un général de l'état-major de Montgomery, le béret violet des Forces spéciales incliné sur l'oreille, vint interroger l'EMFFI. Ce général avait, à l'état-major du général Montgomery, mission de coordonner les activités de toutes natures au-delà du front ennemi : commandos parachutés, renseignements, sabotages, embuscades, et plus généralement toutes les opérations et actions de la Résistance.
"Que se passe-t-il ? Telle division allemande que nous attendions a été retardée de trois jours, telle autre n'est pas encore arrivée, certaines troupes allemandes sont incomplètes ou démoralisées...
À moi qu'on ne regardait même pas à l'état-major de la division où je représentais les Forces spéciales, on me demande maintenant d'accomplir des tâches impossibles. C'est pourquoi je viens vous trouver. Qu'est-ce que je peux faire, et quelles sont les actions qu'on peut demander à la Résistance ?"
À partir de ce moment, les préventions tombèrent, et les Alliés se rendirent compte que l'intervention de la Résistance pesait d'un poids sérieux sur l'équilibre des forces en présence, surtout après que la division SS Das Reich, qui était stationnée dans les Landes, eut été retardée de 17 jours pour se présenter sur le champ de bataille.
Cette division de 20 000 hommes avait pris part à la plupart des combats de la guerre : elle avait combattu en Hollande, elle avait pris Belgrade, elle avait enfoncé le front russe à Smolensk, elle avait défendu victorieusement le bassin du Donetz. Son intervention en Normandie aurait pu être décisive, si celle-ci s'était produite à J + 3 comme chacun s'y attendait. Au lieu de cela, elle fut stoppée à maintes reprises par les embuscades des maquis, ses réserves d'essence brûlèrent, le rail fut coupé, des tunnels s'effondrèrent, et elle ne put atteindre son objectif en Normandie dans les délais qui l'auraient rendue très redoutable.
La percée de l'armée Patton
Un exemple caractéristique du rôle très efficace joué par la Résistance en liaison avec les unités militaires alliées, grâce à la coordination de l'EMFFI, est celui des opérations en Bretagne.
À la suite des messages émis à la veille du débarquement, les maquis bretons ont immédiatement pris une grande ampleur se montrant même parfois un peu trop vite à découvert.
Simultanément, la nuit du débarquement, deux bataillons de SAS sous les ordres du colonel Bourgoin, avaient été parachutés par petits paquets, avec de puissants moyens de liaison avec Londres. Leur mission était de prendre contact avec les organisations de résistance locales, d'assurer dans la mesure du possible leur encadrement, et en tout cas, leur coordination et leur liaison. Cette prise de contact a, dans l'ensemble, fonctionné d'une façon extrêmement efficace, et a permis d'avoir des communications et de faire passer des directives à ces importantes forces de résistance.
Le général Patton, qui avait été chargé de mener l'action dans cette partie du théâtre des opérations, a été - il faut lui rendre hommage d'une façon parfaitement claire - le grand commandant allié qui a, le plus immédiatement et le plus clairement, compris que les forces de Résistance pouvaient être d'une grande aide dans l'action militaire qu'il avait mission de remplir.
Ceci est à souligner tout particulièrement parce que l'EMFFI a été loin de rencontrer la même compréhension chez d'autres commandants d'armée ayant un rôle important, et qui ont eu vis-à-vis de la Résistance une position allant de l'indifférence à l'hostilité presque ouverte, certains considérant qu'il n'y avait rien à attendre de positif d'une telle coopération, tandis que d'autres pensaient que cette coopération ne pourrait que gêner leurs arrières et leur action, et que le mieux était de faire tenir ces forces tranquilles et de ne pas les avoir dans les jambes.
Le général Patton, au contraire, a eu une position extraordinairement ouverte sur cette question. Un soir, vers 10 heures, arrivèrent à l'impromptu dans les bureaux de l'EMFFI deux officiers américains, casqués, bottés, ceinturés de revolvers, arrivant directement du théâtre des opérations. Ces deux officiers de l'état-major du général Patton ont tenu à peu près ce langage : "Notre chef, le général Patton, va faire une percée sur la face ouest du dispositif de la poche de Normandie. Il a l'intention de foncer à bride abattue jusqu'au bout de la Bretagne, jusqu'à Brest, de revenir ensuite aussi rapidement en sens inverse. Il sait qu'il y a de nombreuses organisations de Résistance et il nous a chargés de vous poser la question suivante : "Peut-on demander à ces organisations d'assurer, d'une façon aussi efficace que possible, la mission consistant à protéger tous les ponts sur les trois axes routiers longitudinaux, notamment là où les forces allemandes sont amassées et d'essayer de contenir les divisions ennemies basées à Vannes, dont le général Patton à l'intention de ne pas se préoccuper pour avancer rapidement sur son objectif ?"
L'assurance leur fut donnée, non seulement de la coopération demandée, mais aussi de la façon satisfaisante et utile dont elle serait réalisée.
Les instructions correspondantes furent envoyées, et grâce en partie au bon fonctionnement de liaison des groupes de SAS qui se trouvaient sur le terrain, ces ordres furent diffusés très vite. Dans l'ensemble, cette action a remarquablement fonctionné. Elle a permis au général Patton de foncer à toute allure sans grands obstacles, de gagner plusieurs jours sur un horaire qui aurait normalement été sensiblement plus long, en se fichant éperdument de ses flancs, puis une fois arrivé à Brest, de revenir à toute allure vers l'Est, en laissant le soin aux forces de la Résistance de nettoyer diverses poches, d'assurer la protection des voies de communications, de ramasser les prisonniers et de coiffer les divisions de Vannes, ce qui a été fait avec de très bons résultats pendant plusieurs jours. On se souvient, en effet, de la rapidité extraordinaire avec laquelle le général Patton est reparti le long de la Loire.
Très satisfait du résultat de cette mission de la Résistance en Bretagne, il confia la même mission pour la suite des opérations aux groupes de Résistance qui se trouvaient au sud de la Loire, leur demandant d'assurer dans toute la mesure du possible, la protection de son flanc sud pour lui permettre de n'avoir pas à s'en préoccuper, et pour pouvoir ainsi foncer droit devant lui, sans souci ni de ses arrières, ni de ses flancs.
Là encore on peut dire que tout a fonctionné d'une façon extrêmement satisfaisante et cela explique certainement pour partie la très grande rapidité de l'avance victorieuse des forces du général Patton.
Le verrouillage du Massif Central
Un autre cas typique est celui de l'action des forces de la Résistance dans le Massif Central, qui s'est étendue d'ailleurs sur plusieurs mois. Elles avaient reçu pour mission de bloquer les unités allemandes stationnées dans le Sud, notamment la division Das Reich qui était dans la région de Bordeaux et dans les Landes, pour les empêcher de rejoindre la poche de Normandie, ou au moins de les retarder le plus longtemps possible.
Les destructions des voies ferrées préparées dans le cadre du "Plan vert" ont été remarquablement efficaces. Le film La bataille du Rail en a illustré certains épisodes. On peut dire que, pratiquement, les trains transportant les blindés ne sont pas arrivés à passer. Ces unités ont donc été contraintes de se déplacer sur route, dans des régions où elles se sont heurtées constamment à des attaques menées par l'ensemble des maquis, au fur et à mesure que la coordination et l'encadrement s'amélioraient et que l'armement devenait progressivement plus important. De ville en ville, ces forces ennemies étaient obligées de refluer vers l'Est : Aurillac, Saint-Flour, Le Puy, Clermont-Ferrand, Thiers, Vichy, Montluçon, Moulins, furent en R6, par exemple, les étapes de ce repli, où les garnisons et colonnes allemandes subirent de façon ininterrompue une série d'agressions allant de la simple embuscade à un harcèlement continu par des éléments très mobiles, ou même à de classiques manœuvres d'infanterie, comme ce fut le cas au Lioran, où après trois jours de combat, la garnison d'Aurillac finit par être dégagée par la colonne mécanique Jesser, envoyée de Clermont-Ferrand.
II y a eu là un ensemble d'actions à porter au crédit des Forces Françaises de l'intérieur. Ces actions montrent la valeur de la coordination qui avait pu être assurée avec les opérations d'ensemble et aussi l'efficacité de commandement et d'orientation qui avait été mis en place.
Le débarquement Sud
Un troisième exemple est celui de l'ensemble des opérations coordonnées avec le débarquement sud, notamment les opérations qui ont eu lieu dans les maquis alpins.
Les Alpes offraient aux réfractaires du STO un milieu physique idéal pour y constituer des maquis. Ceux-ci ont trouvé sur place de nombreux militaires de carrière provenant des unités spécialisées dans la guerre de montagne qui leur ont fourni un encadrement compétent.
Les FFI disposaient d'un état-major régional assurant la coordination des opérations.
À partir du 6 juin, celles-ci ont pris une forme particulièrement agressive, parfois, hélas, mal coordonnées avec les actions des armées alliées, comme ce fut le cas au Vercors.
Globalement cependant, les maquis alpins ont réussi à imposer à l'ennemi l'évacuation de zones entièrement libérées, les unités allemandes étant contraintes de se grouper dans quelques villes, tout déplacement ne pouvant s'opérer qu'en unités importantes et en subissant des pertes non négligeables.
L'état-major régional FFI envoya à la fin de juillet le colonel Zeller à Alger, pour informer le commandement interallié du "débarquement sud", de la situation qui permettait d'envisager l'utilisation de la route Napoléon comme axe de pénétration dégarni d'Allemands, au lieu et place de la vallée du Rhône où l'ennemi avait prévu des actions de retardement avec des moyens considérables.
Le colonel Zeller, appuyé par le Général de Gaulle, réussit à convaincre ses interlocuteurs qui, le 12 août, modifièrent entièrement leurs dispositions.
Presque sans coup férir, les divisions américaines atteignirent Grenoble en 7 jours, alors que les plans primitifs prévoyaient des délais de 90 jours. La 1ère Division Française Libre, passant de son côté à l'ouest du Rhône, dégagé par les maquis des Cévennes et d'Ardèche, Lyon fut évacué par l'effet de débordement.
Si l'avance vers le Rhin de l'aile droite du débarquement nord ne pouvait manquer de provoquer une évacuation de la France toute entière, il est évident que l'action des maquis a précipité le mouvement et l'a rendu très coûteux à l'ennemi en hommes et en matériel.
La libération de Paris
Un événement important est la coordination de l'action au moment de la libération de Paris, à laquelle les FFI ont apporté la contribution la plus spectaculaire en août. Cette action avait été précédée de contacts très directs puisque, quelque temps avant ces opérations, débarqua à Londres un jeune général délégué militaire, qui n'était autre que Chaban-Delmas, connu sous le pseudonyme d' "Arc". Les quarante-huit heures qu'il a passées à Londres ont été très importantes parce qu'elles ont permis des contacts extrêmement précis qui, évidemment, ne permettaient pas de fixer tous les détails d'une action, mais permettaient tout au moins d'avoir une connaissance mutuelle des moyens, avec leurs qualités et leurs insuffisances de part et d'autre, et de préciser d'une façon très claire quelles seraient les lignes de coopération à adopter dans les différentes hypothèses. Cela permettait également d'exécuter certaines missions importantes de renseignement demandées aux groupes qui étaient sous le contrôle direct de Chaban, ainsi que de préciser comment s'entendre suivant l'évolution d'une situation dont nul ne pouvait, à ce moment, prévoir le déroulement.
C'est ainsi qu'il a été possible, par un concours de circonstances assez extraordinaire, prenant acte d'informations très précises sur la nature, l'ampleur et la coordination du soulèvement parisien, d'en faire état dans le fameux communiqué du 19 août, qui a parcouru le monde en quelques semaines. Ce communiqué a d'ailleurs provoqué quelques réactions virulentes car il avait transité jusqu'au poste d'émission de la BBC en court-circuitant tous les contrôles. C'est donc par un tel concours de circonstances qu'il a eu une action déterminante et a en quelque sorte accéléré la prise de décision consistant à envoyer à toute allure le général Leclerc à la tête de sa division blindée pour entrer dans Paris, alors que cela ne correspondait pas aux intentions du commandement interallié.
Là encore, l'action de la Résistance intérieure et la coordination de cette action avec celle de l'état-major FFI, a été un élément assez notable et déterminant.
La campagne d'Alsace
Enfin, une dernière action de l'EMFFI a été menée en Alsace, en liaison très étroite avec le général de Lattre, après intégration progressive des FFI dans la 1ère Armée française. Cette action, dans la dernière phase de la bataille de France, a été précédée là aussi, de contacts très directs entre les responsables et a permis d'engager un certain nombre d'actions précises et coordonnées avec l'action des Forces militaires ce qui, incontestablement encore, a facilité et accéléré les opérations du général de Lattre.
Bernard Henri Bonnafous