En cette matinée du 5 juin 1944, dans le camp secret de Fairford où ils sont rassemblés depuis une semaine, les parachutistes Français libres du 4e SAS, sont les uns dans l'attente, les autres déjà dans la préparation de leur mission. Depuis la veille leurs chefs, le colonel Bourgoin et son adjoint le commandant Puech Samson, savent que leur unité sera la première engagée dans Overlord, la fantastique bataille du débarquement, la bataille de la Libération.
Quatre sticks enviés par toute l'unité ont été désignés pour être parachutés le soir même. Sous une tente aménagée en PC, ils assistent à un ultime briefing au cours duquel, cartes à l'appui, les services de renseignement leur donnent les dernières informations sur les lieux où ils vont opérer et sur les aides dont ils pourront bénéficier.
Chez tous, partant du jour ou du lendemain, il y a un mélange d'exubérance et de repli sur soi, une grande fierté mais aussi une intense émotion. Ce jour tant attendu, dont on avait si souvent parlé, qu'on avait parfois désespéré de voir arriver, ce jour enfin était arrivé. Pour certains, les plus anciens, cela faisait près de quatre ans qu'ils se battaient avec cet espoir insensé, un peu fou. Le chemin avait été long, et ils avaient perdu trop des leurs dans les combats livrés à l'Afrika Korps en Afrique, depuis la création, à Londres, de cette première unité de paras par le général de Gaulle.
Plongés dans leurs souvenirs ils se souvenaient, un brin attendris, de cette première compagnie de l'infanterie de l'air, terme d'époque pour désigner les parachutistes de la France libre, dans laquelle, dès sa création en septembre 1940, ils s'étaient engagés.
Le Général en avait donné le commandement à Georges Bergé, un capitaine qui l'avait rejoint en Angleterre après s'être furieusement battu en 1940. C'est dans cette petite unité de volontaires souvent très jeunes mais décidés, pleins de fougue et d'enthousiasme que des éléments seront prélevés pour effectuer les premières missions armées, en uniforme, sur le sol de France.
C'est ainsi que le capitaine Bergé lui-même sera parachuté en mars 1941, à Elven en Bretagne, pour effectuer avec quatre de ses hommes, la mission "Savanna". Un sous-marin lui permettra de regagner les îles britanniques. Deux mois plus tard, sous le nom de code de "Joséphine B", c'est la centrale de Pessac qui sera détruite par un nouveau groupe de paras à la croix de Lorraine.
Ensuite ce fut en juillet le grand départ pour rejoindre le Moyen-Orient, le seul secteur où les alliés affrontaient l'ennemi, car le général de Gaulle voulait la participation effective au combat du maximum de ses forces.
"Qui ose gagne"
Trois mois après leur arrivée, avec le titre de French Squadron, les hommes de Bergé étaient intégrés à une extraordinaire unité britannique au nom mystérieux de Special Air Service.
Elle avait vu le jour à l'automne 1941 alors que la 8e Armée malmenée par Rommel avait reflué jusqu'aux abords de l'Égypte ce qui, entre autre, en repoussant les bases de la RAF près du Nil, plaçait une énorme portion de la Méditerranée complètement à la merci de la Luftwaffe, hors du rayon d'action de l'aviation alliée. Les convois subissaient des pertes effroyables.
C'est à ce moment que David Stirling, lieutenant des Guards appartenant à l'une de ces Special forces pour lesquelles les Britanniques ont une prédilection, proposa à l'état-major une solution dont on dit qu'à son énoncé la moitié des présents fut consternée et l'autre fut secouée de rires.
Tirant la leçon de raids massifs effectués sur les côtes avec le support des trois armes, qui s'étaient tous soldés par des échecs résumés par une phrase laconique : "Résultats faibles, pertes très lourdes", il préconisait une nouvelle forme de combat apparemment insensé.
Avec de petits groupes d'hommes spécialement entraînés et préparés à ce genre d'action, pénétrer très profondément à l'intérieur du dispositif ennemi pour y attaquer, de nuit, des objectifs importants et plus spécialement sur leurs pistes d'envol les avions de la Luftwaffe que la RAF ne pouvait pas atteindre. Parce que cela n'engageait que peu d'hommes et ne demanderait qu'un matériel dérisoire, les généraux Auchinleck et Ritchie se laissèrent aller à dire un : "Pourquoi pas ?". Le Special Air Service était né.
David Stirling leur donna une devise : "Qui ose gagne" et son premier recrutement porta sur ses complices des Special Forces tous déjà physiquement et moralement très affûtés pour ce type de mission.
Lorsqu'un heureux concours de circonstances permit au capitaine Bergé de rencontrer à Kabret, où il était venu s'entraîner avec ses hommes, David Stirling, les exploits du SAS ne lui étaient pas inconnus et l'état-major était passé du scepticisme à l'euphorie en apprenant les formidables succès obtenus.
Paddy Mayne avec cinq hommes avait détruit, une nuit de novembre, 24 avions sur l'aérodrome de Tamet et il en avait fait exploser 27 au même endroit, à la nuit de Noël. Fraser et son petit groupe battra ce record en faisant sauter 34 appareils à Agebadia, mats Jock Lewis le compagnon du premier jour de David, qui avait astucieusement mis au point la bombe mi-explosive, mi-incendiaire portant son nom, avait été tué dans l'opération.
Alors que pour les parachutistes à la croix de Lorraine se posait la question de savoir comment les faire participer à la bataille, cette rencontre fortuite va fixer leur destin.
Ils sont disponibles, tous brevetés, très entraînés, motivés au plus haut point et enthousiastes. De son côté David Stirling a bien eu carte blanche du commandement pour recruter des volontaires et augmenter ses effectifs afin de multiplier les raids, mais malgré la qualité des nouveaux venus, il leur manquait une formation et un entraînement spécifiques. Le French Squadron avait les deux, il n'aura besoin que d'une adaptation aux exigences du combat dans le désert.
Très vite ensuite ils participèrent aux raids effectués pour attaquer sur ses lointains arrières, les aérodromes de l'ennemi. C'est ainsi que Bergé, juste nommé commandant, avec trois de ses hommes plus le lieutenant Lord Georges Jellicoë et le lieutenant crétois Petrakis sont déposés par un sous-marin sur une plage de l'île de Crète.
Une nuit, après des jours de marche pour approcher l'objectif, ils pénétreront sur l'aérodrome. Plaçant des charges dans chaque avion ils en feront sauter 21, détruisant aussi les dépôts de carburant et de bombes.
Comme toujours dans ces missions, le retour était le plus difficile pour ces petits groupes qu'un ennemi ulcéré par les pertes subies, pourchassait avec un grand déploiement de moyens. C'est ainsi que, encerclé dans un combat inégal, Loestic sera tué. Il n'avait que dix-sept ans. Seuls Jellicoë et Petrakis, partis en avant pour repérer le lieu où une vedette rapide viendrait récupérer les rescapés, échapperont à la poursuite. Bergé et ses deux autres compagnons, Jacques Mouhot et Sibard seront pris, évitant de peu l'exécution mais envoyés dans des camps en Allemagne, le chef du French Squadron ayant droit à la fameuse forteresse de Choltiz.
Jacques Mouhot s'évadera trois fois. Repris et placé dans des stalags de plus en plus sévères, à la quatrième tentative ses gardiens ne le reverront plus. Un an après sa capture en Crète, véritable exploit, il était à Londres après avoir traversé seul, sans aide, une partie de l'Allemagne, de la Hollande et de la Belgique, la France et enfin l'Espagne jusqu'à Gibraltar. Plus tard, de son côté, Sibard s'évadera aussi.
Dans le même temps que l'aérodrome d'Héraklion, le Special Air Service attaquait l'ensemble des pistes d'envol utilisées par la Lutwaffe en Cyrénaïque. Le French Squadron dont le commandement avait été confié au lieutenant Augustin Jordan participa entre autres aux raids sur Derna, Martuba, Benina, Barcé et Fuka.
Cependant les formidables succès remportés par "la bande à Stirling" avaient eu pour conséquence de renforcer sensiblement la garde aux avions. De nuit, il y avait parfois une sentinelle voire deux pour chaque appareil rendant leur approche de plus en plus difficile. David Stirling, que les Allemands avait surnommé le "major fantôme", avait, on le savait, de l'imagination et il était capable de concevoir de nouvelles formes d'actions apparemment les plus folles.
"La surprise ne pouvant plus jouer nous allons avoir moins de succès et plus de pertes. Il faut la remplacer par la force".
Sa nouvelle idée fut de se présenter en un lieu dit imprévu à une heure donnée, pour surprendre les défenses ennemies avec une puissance de feu lui donnant l'avantage, le temps d'accomplir la mission.
Pour cela il adopte les jeeps qu'il équipe de mitrailleuses d'aviation Vickers jumelées et de browning de 30 millimètres. Ainsi formée, son armada passant par le sud désertique et faisant des pauses dans les oasis contrôlées, va ensuite remonter vers la zone côtière où sont situés les objectifs, en naviguant dans le désert aux instruments comme on le fait sur mer.
De Sidi Hanneisch à Pantelleria
Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1942 il arrive ainsi aux abords de l'aérodrome de Sidi Hanneisch, à la tête de 18 jeeps soit 54 mitrailleuses. Trois des voitures sont françaises, commandées par Augustin Jordan, François Martin et André Zirnheld. À une heure du matin, peu après que l'atterrissage de nuit d'un appareil allemand ait opportunément éclairé le terrain et permis de constater que les avions de combat étaient sagement rangés de part et d'autre de la piste, David Stirling donne l'ordre d'attaquer.
En formation de U renversé les jeeps arrivant en tout terrain liquident le poste d'entrée en deux rafales et remontent la piste en tirant de toutes leurs armes. Le tir rapproché est guidé par les balles traçantes qui alternent avec les explosives.
En bout de terrain David Stirling peut admirer les avions qui flambent. Les lieux ainsi éclairés lui permettent de constater que certains appareils ne paraissent pas détruits. Alors qu'un obus atteint l'un de ses véhicules, il décide de refaire le parcours en sens inverse : "Gentlemen nous en avons oublié quelques-uns, go".
En quittant en trombe un coin devenu malsain, les SAS laissent derrière eux une trentaine d'avions ravagés par le feu. La traque sera à l'échelle de la déconvenue de l'ennemi.
Devant éviter les étendues de sable où les traces guideraient les avions, la voie la moins risquée était celle du lit des oueds à sec. Hérissés de rochers, la progression y était lente et le camouflage difficile.
La jeep de l'aspirant Zirnheld retardée par des accidents mécaniques sera repérée. Après plusieurs passages à basse altitude, celui-ci sera blessé à mort par plusieurs balles de mitrailleuses tirées par un stuka.
Ses camarades à la nuit tombée protégeront son corps des chacals par un monticule de pierres. Dans ses papiers ils découvriront une admirable et émouvante prière qu'il avait composée. Elle est aujourd'hui reprise par tous les parachutistes et les écoles militaires.
Montgomery avec sa 8e Armée a vaincu Rommel à El Alamein et l'Afrika Korps reflue. L'objectif des hommes de Stirling sera alors d'attaquer les convois, les dépôts, les ouvrages importants pour créer l'insécurité à l'arrière de l'ennemi. Avec ses jeeps il frappe et disparaît. En plus de la surprise, les mitrailleuses lui donnent l'avantage de la puissance de feu. Il opérera ainsi en Tripolitaine puis en Tunisie. Malheureusement la sécurité s'avérera moins grande dans ce pays que dans le désert dépeuplé. Souvent dénoncés, Jordan d'abord, David Stirling un peu plus tard seront pris. Tous deux rejoindront Bergé à Choltitz.
L'ordre secret n° 003830/42 du 18 octobre 1942 signé Adolph Hitler concernait le Special Air Service : "Ces hommes sont dangereux, il faut les abattre. Je rendrai responsable devant le conseil de guerre, tous les chefs d'unité et officiers qui n'exécuteront pas cet ordre". Le maréchal Rommel commandant de l'Afrika Korps ne l'appliqua jamais. Il n'en fut pas de même plus tard en France puis en Hollande.
Le 30 janvier 1943, les jeeps des sous-lieutenants François Martin et Legrand suivies de celle de Harent furent les premiers éléments de la 8e Armée à effectuer la jonction avec des unités américaines ayant débarqué le 8 novembre en Afrique du Nord. Cela se fit dans la région de Gafsa. Les G.I. eurent beaucoup de mal à identifier ces hommes hirsutes souvent enturbannés qui disaient être partis depuis près de deux mois d'Égypte pour, livrés à eux-mêmes, coupés de toutes liaisons, guerroyer sur les arrières ennemis en malmenant ses voies de communication.
Regroupés, les rescapés du French Squadron rejoindront la Grande-Bretagne. Un autre French Squadron sera constitué en Tunisie sous le commandement du lieutenant de Sablé pour participer aux missions en Italie du 2e SAS commandé par Bill Stirling qui avait pris la place de son frère capturé.
Ils s'illustrèrent à la conquête de l'île de Pantelleria en mai 1943 comme à Taormina ou à Termoli sur la côte adriatique, effectuant sept missions sur les arrières ennemis tantôt parachutés, tantôt déposés par voie maritime. Ils resteront aux côtés de leurs camarades britanniques du 2e SAS pendant la campagne de France, ne rejoignant le 3e SAS que pour l'opération de Hollande.
La bataille d'Afrique terminée par la défaite totale de l'Afrika Korps, l'Italie en partie conquise, on ne parle plus que du futur débarquement.
Un jour avant l'aube
Conscient des possibilités offertes par le Special Air Service, le commandement britannique est décidé à les utiliser au maximum dans les opérations qui se préparent. David Stirling, pour bluffer l'ennemi, avait appelé son maigre contingent de départ, qui en fait ne dépassa jamais trois cents hommes, la "brigade SAS". Cela va devenir une réalité sous la forme de deux régiments britanniques (1er et 2e SAS) et deux français (3e et 4e SAS, ou 3e et 4e RCP en dénomination française). En réalité, leur effectif se limitait à celui d'un bataillon. Le tout fut placé sous les ordres du général Mac Leod.
Le 3e SAS est commandé par le commandant Château-Jobert dit "Conan" qui s'est illustré sur tous les champs de bataille en Afrique dès 1940. Son recrutement le plus important, est un mélange de volontaires venus du Moyen Orient, d'évadés de France et surtout de gaullistes d'Afrique du Nord malmenés par le pouvoir Giraudiste, regroupés par un meneur d'hommes remarquable, le commandant O'Cottereau.
Le 4e SAS a pour chef le colonel Bourgoin, figure emblématique avec la manche vide de son uniforme. C'est en Tunisie, au cours d'une mission qu'il a perdu son bras. Son adjoint, le commandant Puech-Samson, a rejoint l'Angleterre au mois de juin 1940. Un mois plus tard le général de Gaulle l'envoyait clandestinement au Maroc pour créer des réseaux. Après le débarquement il prendra la tête des corps francs et sera blessé à la prise de Bizerte.
Les anciens du French Squadron, renforcés par des évadés de France ayant parfois participé à la lutte clandestine, seront l'essentiel de l'effectif de ce régiment.
Tous passeront par Ringway, près de Manchester, pour être brevetés parachutistes et ils effectueront leur entraînement en Écosse. Pendant des mois ils seront formés en vue de leurs futures missions, apprenant tout des armes, y compris celles de l'ennemi, du combat rapproché, de l'utilisation des explosifs, de la vie et du comportement en territoire contrôlé par l'ennemi, livrés à eux-mêmes sans recours ni secours possible.
De nuit le plus souvent, ils parcourront la lande avec d'énormes charges sur les épaules dans des exercices par tous les temps, pour les habituer à transporter sur eux, vite et longtemps, toute leur logistique : vivres, explosifs, munitions pour ne parler que du plus lourd.
Au printemps ils étaient affûtés, rompus à toutes les formes de combat, fin prêts pour ce qu'on exigerait d'eux. Et en mai 1944, sans trop savoir ce qui allait leur arriver mais pleins d'espoir, ils faisaient connaissance avec le camp secret de Fairforth. C'est là que, coupés du monde extérieur, ils attendirent le moment de leur départ.
Début juin le colonel Bourgoin et Puech-Samson sont convoqués au PC de Mac Leod pour apprendre que Overlord, l'opération du débarquement aurait lieu en Normandie et qu'une mission stratégique essentielle était confiée au SAS français qu'ils commandaient.
Son énoncé était simple et clair : coûte que coûte, empêcher les forces allemandes situées en Bretagne d'aller renforcer les défenses ennemies qui s'opposeront au débarquement. Cette unité serait donc, de fait, la première engagée dans la bataille de la Libération.
Les parachutistes de la France libre, trois ans après leurs premières missions en France, allaient donc retrouver leur Pays les armes à la main.
Pour cette mission il fut décidé que les premiers éléments seraient parachutés dans la nuit précédant le jour J afin d'opérer des destructions, d'une part, et de créer, d'autre part, deux bases permettant l'arrivée progressive du reste de l'effectif.
L'une "Samwest", située dans la forêt de Duhaut, serait confiée aux sticks des lieutenants Botella et Deschamps. L'autre "Dingson" dans la forêt de Saint-Marcel serait attribuée aux sticks des lieutenants Déplantes et Marienne. À J+2 dix-huit sticks parachutés chacun dans une zone différente, effectueraient des missions de destructions précises. Nom de code : "Cooney parties".
Au cours d'un briefing il fut précisé que, la très active résistance bretonne ayant été en partie décimée par la gestapo, ses possibilités d'aide étaient mal connues. Les parachutages se feraient donc Blind c'est-à-dire secrètement, sans accueil au sol. Seule indication : il y avait près de Saint-Marcel un terrain "accrédité" et sans doute des éléments de maquis mais impossible à évaluer, ni en quantité, ni en valeur.
Le 5 juin, un peu avant minuit, les quatre sticks étaient largués en théorie sur des dropping zones faciles à identifier de nuit par les pilotes.
En réalité les écarts furent grands, approchant parfois vingt kilomètres, ce qui provoqua des difficultés et même des drames. C'est ainsi que le stick de Marienne va être droppé à proximité des hauteurs de Plumelec où les Allemands ont un important poste d'observation. Son avion passant et repassant à basse altitude a alerté les gardes qui vont immédiatement déclencher la chasse à l'homme. Une partie du stick est surprise avant même d'avoir récupéré son matériel. Dans le bref combat engagé, Émile Bouetard, vingt minutes après avoir retrouvé sa Bretagne natale, sera tué, premier mort de l'opération Overlord.
À Saint-Marcel, où Marienne avec son stick réduit a rejoint Déplante, les SAS vont découvrir que les renseignements donnés au départ, n'étaient pas fiables. Près du terrain homologué depuis longtemps pour des parachutages et portant le nom de code "Baleine", il y avait des éléments de valeur du maquis, sous la responsabilité d'un homme de grande qualité, le colonel Morice. Les choses évoluèrent alors très vite.
La nouvelle du débarquement et celle de l'annonce de l'arrivée de parachutistes français, qui se propagea à travers la lande telle une traînée de poudre, provoquèrent la venue à Saint-Marcel de groupes parfois bien hiérarchisés mais aussi d'une masse d'incontrôlés qui spontanément quittèrent tout pour venir se battre.
L'ampleur de cet afflux posa rapidement problème à "Dingson" car cette donnée imprévue ne pouvait que modifier les plans d'action mis au point par les SAS à leur départ.
La question ne se posa pas dans les mêmes termes à " Samwest", dans la forêt de Duhaut, où sans trop de difficulté les sticks de Deschamps et Botella avaient été droppés. Les premières destructions effectuées, ils découvrirent de petits éléments de maquis, réfugiés dans la forêt, qui pouvaient d'une part les aider à organiser la base et d'autre part leur donner d'utiles informations sur les objectifs à détruire ou attaquer. Confiants, ils avaient donné le feu vert pour la réception des premiers renforts et dans la nuit suivante plusieurs sticks les avaient rejoints avec le capitaine Leblond à leur tête.
Leur implantation à peine amorcée, ce rassemblement qui n'avait pourtant rien de comparable à celui du Morbihan, avait été très vite détecté par les services de renseignement de l'ennemi.
Le 12 juin, les Allemands attaquaient en force. En fin de journée, après un combat inégal, les sticks se dispersèrent emmenant leurs blessés dont certains, comme Botella, très grièvement. Quatre des leurs, gravement atteints, avaient été jetés dans le brasier de la ferme que les Allemands avaient incendiée. Les pertes de l'ennemi étaient sévères mais "Samwest" n'avait pas eu le temps de s'organiser.
Trois jours avant, peu après la tombée de la nuit, le stick commandé par les lieutenants De Camaret et Denis Cochin, parachuté la veille dans le cadre de "Cooney partie", avait fait sauter un train dans le tunnel de la Corbinière, immobilisant pour longtemps toute circulation sur l'une des principales voies ferrées de Bretagne.
La perte de "Samwest" relança les discussions concernant l'évolution de "Dingson" car, si la Wehrmacht le décidait, avec ses moyens en artillerie et blindés elle pouvait faire un carnage. Il fut donc admis que la dispersion devrait se faire au plus tôt et qu'en attendant, un maximum d'armes, de matériels et de renforts seraient parachutés en utilisant "Baleine" comme dropping zone.
Quand Bourgoin atterrit dans la nuit du 10 juin, suspendu à un parachute tricolore, avec son adjoint Puech-Samson et une centaine de ses hommes, ce fut pour confirmer l'ordre d'évacuation dans le meilleur délai.
Le 18 juin au matin, arrivant simultanément de plusieurs directions, les commandos de chasse et une unité de la division de parachutistes allemande "Kreta" attaquaient la base de Saint-Marcel, appuyés par des mortiers et une artillerie légère.
La bataille sera dure, meurtrière. Les SAS, répartis aux points vulnérables, remarquablement épaulés par les maquisards fraîchement armés mais faisant preuve du plus grand des courages, infligeront des pertes sévères à l'ennemi, sans pouvoir contenir partout ses assauts.
En début d'après-midi les Allemands progressant dangereusement, Bourgoin obtint l'intervention de chasseurs bombardiers dont l'attaque surprise provoquera un repli massif et désordonné des assaillants. Marienne en profitera pour lancer une contre-attaque aussi téméraire que le personnage, ramenant l'ennemi près de ses bases de départ.
Ce recul permet d'atteindre la nuit, propice au décrochage général. Il sera favorisé par une pluie diluvienne. À deux heures du matin la base évacuée, Puech-Samson quoique blessé, tout comme Marienne qui assure sa couverture avec son groupe, fera sauter les réserves non transportables, avant de disparaître.
La bataille de Saint-Marcel était terminée. Elle fut le symbole de la lutte menée au coude à coude en Bretagne par les paras de la France libre et les hommes des maquis. Elle fut une victoire car l'ennemi ne réussit pas à anéantir ce rassemblement de la jeunesse résistante Bretonne dont seul le courage avait pu suppléer à son manque d'expérience du feu, encadrée par des paras SAS qui n'étaient pas préparés à ce type de combat.
Les pertes allemandes furent très élevées. Plusieurs centaines de morts. Maquisards et SAS perdirent près de soixante d'entre eux.
On était le 18 juin, cela faisait 12 jours que la bataille faisait rage en Normandie et les forces ennemies n'avaient pas pu quitter la Bretagne où le combat se poursuivra pendant des semaines, meurtrier mais victorieux parce que les unités allemandes stationnées en Bretagne ne pourront pas venir renforcer les défenses ennemies de Normandie.
Après cet échec, la chasse à l'homme va alors commencer, féroce, inexpiable, menée par la gestapo et des unités de la Wehrmacht. Marienne dont la tête a été mise à prix, involontairement trahi par des paysans abusés, sera surpris le 12 juillet dans sa halte d'une nuit où son ami François Martin, héros de Libye, venait de le rejoindre. Ils seront fusillés ainsi que tous leurs hommes et les maquisards qui les accompagnaient, comme le seront bon nombre de SAS dans les semaines suivantes.
Fin juillet une compagnie du 3e SAS sous les ordres du commandant Sicaud et du lieutenant Tupet-Thomet sera droppée dans le Finistère pour favoriser l'avance d'une division mécanisée américaine qui prévoyait de déboucher du Cotentin pour foncer sur Brest. Le lieutenant Quelen empêchera les Allemands de faire sauter le viaduc de Morlaix, pendant que Tupet-Thomé aidé d'un groupe de maquisards occupera Landerneau par surprise et tiendra la ville plusieurs heures.
Les combats livrés en Bretagne avaient débuté dans la nuit du 5 au 6 juin. Ils durèrent deux mois, livrés au coude à coude avec la Résistance bretonne. Sur 430 paras engagés dans cette opération, soixante-dix-sept seront tués, dont le quart exécutés parfois après tortures ou achevés alors qu'ils étaient blessés, et il y aura 192 blessés ou disparus.
Pour ces actions d'éclat le drapeau des SAS sera décoré de la Croix de la Libération le 11 novembre 1944 par le général de Gaulle à l'Arc de triomphe.
Des sticks tous azimuts
Parallèlement aux opérations de Bretagne c'est de l'ouest à l'est, du sud au nord que les sticks du 3e SAS vont être engagés pour des missions spécifiques.
Début juillet le capitaine Fournier sera parachuté avec ses hommes dans le Maine-et-Loire, participant même en fin d'opération au colmatage des poches de La Rochelle et Saint-Nazaire.
Le capitaine Simon adjoint du commandant Conan sera largué avec 3 sticks dans la Vienne pour relever les rescapés du groupe SAS du capitaine de Tomkin du 1er SAS britannique. Ils avaient eux aussi été parachutés dans la nuit du 5 au 6 juin, mais, rapidement pris en charge par un fort maquis implanté dans la région, cela les avait sécurisés.
Trop de confiance, une communication insuffisante car seul leur chef connaissait le français, une trahison peut-être, mais très tôt un matin le petit bois où campaient les SAS et des maquisards qui en assuraient la garde fut encerclé. Sept, avec leur chef, n'étaient pas revenus d'une opération de sabotage dans le secteur, les trente-trois autres seront pris. Ils seront tous fusillés.
L'ordre de Hitler deux ans après sa promulgation était appliqué. Il le sera encore, de façon inégale dans certaines régions, en Bretagne, dans les Vosges et plus tard en Hollande.
Si le capitaine Wauthier va opérer dans la Corrèze et le lieutenant Hubler dans la Creuse, c'est en Bourgogne et dans le Lyonnais que, Conan en tête, l'effectif le plus important du 3e SAS sera parachuté en prévision du débarquement de Provence. Ils devront attaquer les voies de communication qui descendent vers le Sud et créer dans la région la plus grande insécurité possible afin d'y fixer un maximum de forces ennemies.
Les sticks disséminés le long des nationales 6 et 7 avec l'aide de maquis vaillants et très bien organisés sous les ordres de Mary Basset et André Jarrot (dit "Goujon") tous deux responsables militaires nommés par le général de Gaulle pour leur région, vont, ensemble le plus souvent, réussir dans leurs secteurs des embuscades style SAS, les plus meurtrières de la guerre et des opérations de grande audace aboutissant à de véritables exploits.
Un bluff pour un train blindé
Ce fut le cas à hauteur du pont de Galuzot près de Blanzy, où un train blindé avait été bloqué en rendant les voies inutilisables devant la locomotive d'abord puis à l'arrière. Les sticks des lieutenants Porot et Rouan, appuyés par des éléments de maquis remarquablement commandés par l'intrépide Robert Jeandet, s'étaient camouflés à quelques dizaines de mètres dans un bois touffu traversé par la ligne de chemin de fer.
Alternant les manœuvres d'intimidation avec tir de toutes les armes y compris celui d'un petit mortier de 2 inches dont les SAS disposaient, et l'intervention un peu folle de Porot qui, avec un drapeau blanc, va parlementer avec le colonel chef du détachement ennemi pour lui faire croire qu'il est l'avant-garde d'une division aéroportée parachutée dans la nuit, après des heures de suspense entrecoupées de reprises du feu, finalement c'est plusieurs centaines d'Allemands qui vont se rendre. Ils découvriront trop tard, dans le bois où ils sont conduits, armes abandonnées, que les hommes en uniforme de paras ne sont qu'une vingtaine et les maquisards dont on ne leur avait pas parlé, à peine plus du double.
Exploit aussi, que les embuscades à répétition réussies sur les nationales 6 et 7 par les sticks échelonnés depuis Lyon jusqu'à Macon. Postés à seulement une cinquantaine de mètres des grandes voies routières, les convois sont bloqués par les tirs des bazookas avant d'être ensuite systématiquement hachés par les tirs de fusils mitrailleurs.
Cette efficacité va encore être renforcée grâce à un raid extraordinaire du capitaine Guy de Combaud.
Des jeeps traversent la France occupée
Le commandement SAS a décidé de reprendre la tradition des jeeps armées du désert, pour accroître l'efficacité des sticks. La difficulté est de les faire parvenir avec leurs équipages à ceux qui se battent à l'intérieur du dispositif ennemi. Les premiers essais de parachutage, en Bretagne, ont été décevants.
Guy de Combaud, chef de cette unité, va opter pour une solution assez extraordinaire, paraissant folle. Il propose de profiter d'une attaque de blindés américains qui doit avoir lieu au sud d'Avranches pour s'infiltrer avec ses jeeps derrière les lignes ennemies et ensuite, en utilisant le tout terrain ou les chemins de campagne, traverser cette partie de la France occupée pour retrouver ses camarades en Bourgogne. Ni plus, ni moins.
C'est ainsi qu'après un parcours aussi insolite qu'audacieux, quatre jeeps, une nuit, près de Cluny, apportaient leur renfort aux SAS déjà en action dans la région.
Leur participation dès le surlendemain à une embuscade dressée par les sticks de Hilaire Colcombet sur la nationale 7 au sud de Macon eut un effet foudroyant. La tête et la queue d'un fort convoi furent bloquées par des tirs précis de bazookas placés à la corne d'un bois qui surplombait la route à cinquante mètres de distance. Les fusils mitrailleurs Bren gun entrèrent alors en action avant que, subitement quatre jeeps, après avoir lancé une fusée pour faire cesser le tir des SAS et des maquisards, ne débouchent dans le dos de l'ennemi avec leur puissance de feu cumulée de 12 mitrailleuses à tir rapide. À leur départ le convoi était anéanti.
Le 3 septembre, une information capitale est donnée par le maire de Sennecey. Il a ordre de la Kommandatur de livrer des vivres pour un millier d'hommes qui embarqueront le 4 au matin dans des camions qui stationneront dans la grande rue. Celle-ci devra être entièrement dégagée et interdite à toute circulation jusqu'au départ fixé à 7 heures.
Depuis 48 heures déjà les ordres de Londres étaient d'empêcher toute remontée de l'ennemi vers le Nord. L'attaque du convoi est donc décidée avec la participation dominante des jeeps.
En réalité, seules les jeeps auront la capacité d'être sur les lieux à l'heure dite. Elles arrivèrent par le sud, et abordèrent le village par une petite rue gardée par des mitrailleurs qui déjà démontaient leur arme. Ahuris, ils virent les quatre voitures passer en trombe sans s'occuper d'eux. Un instant après elles débouchaient sur la grande rue, à quelques mètres de la queue du convoi.
Tirant de toutes leurs armes, lançant des gommon bombes faites avec du plastic bourré de ferrailles, les quatre jeeps, Guy de Combaud à leur tête, remontèrent le convoi en hachant et incendiant littéralement à bout portant chaque camion dont les occupants n'eurent jamais le temps de savoir d'où venait cet enfer qui s'abattait sur eux.
En bout de village il y avait une ruelle qui menait après avoir traversé une place à une petite route choisie comme voie de dégagement sur les indications de Jarrot. Hélas des camions imprévus y arrivaient, bouchant le passage. Les jeeps firent demi-tour. Elles furent tour à tour anéanties. Une seule par miracle put s'échapper pour échouer près du cimetière. Les habitants voisins réussirent à en extraire les blessés et les faire disparaître.
On ne sut jamais exactement les pertes allemandes ce jour-là, évaluées de toute façon à plusieurs centaines.
C'est en souvenir de ce raid héroïque, que les SAS français et britanniques ont érigé à Sennecey-le-Grand le Mémorial dédié à tous leurs camarades qui, sur tous les fronts, sont morts en mission.
La Ve DFL poursuivant avec rapidité son avance récupéra, tout au long de son parcours, au grand étonnement des chefs d'unité, des paras de la France libre dont ils ignoraient tout. L'accueil, pour ne pas être trop sévère, fut disons, inégal.
Avant que Londres ne donne à tous les SAS français l'ordre de regroupement (par tous moyens à leur convenance...) en Champagne, les hommes de Bourgoin avaient été entièrement motorisés en jeeps armées, ce qui leur avait permis de guerroyer sur la Loire.
De leur côté les hommes de Sicaud et Tupet-Thomé, les opérations de Bretagne terminées, avaient été parachutés dans le Doubs où ils livrèrent de très durs combats aux Allemands en repli.
Ensuite pendant deux mois, à Esternay et à Épernay, les paras de la France libre vont pouvoir enfin goûter un repos bien venu en utilisant principalement la médecine locale, appelée champagne, pour refaire leurs forces.
Noël 1944 - Les SAS bouchent les trous dans les Ardennes
Fin décembre, coup de tonnerre, les blindés de Von Rundstedt ont percé le front assez inconsistant des alliés dans les Ardennes. Pendant quelques jours c'est la grande confusion, on ne sait plus très bien où sont les amis... et les ennemis.
Le 4e SAS étant motorisé, c'est lui qui, commandé par Puech-Samson, va être dépêché en guise de cadeau de Noël, dans la région pour colmater une partie du secteur et tenter de situer ceux d'en face. Pendant quatre semaines, par des températures polaires (ce qui, pour certains, les changeait un peu du désert), ce sera une partie de cache-cache pour repérer sans l'être.
Etrange moment de guerre où le front est mal situé, l'ennemi nulle part, et où celui qui porte un uniforme de GI n'en est peut-être pas un. Certains villages des Ardennes belges ont ainsi vu passer successivement des Américains, des Allemands, des Français, sans ordre défini et vice-versa. Finalement les hommes de Puech Samson délivreront définitivement Saint-Hubert et Bertrix alors que plus au nord à Bastogne la fameuse 101e Airborne américaine surnommée "les Aigles hurlants", encerclée, va, par son héroïque résistance, empêcher les Allemands, qui essaieront en vain de la réduire, de profiter pleinement du succès de leur offensive surprise.
La France respire. Von Runstedt avait suscité bien des peurs dans les populations du Nord qui venaient depuis peu de retrouver leur liberté. Mission une fois encore accomplie, tous les SAS vont alors regagner les îles britanniques. Avec eux tout un recrutement de maquisards pour combler les pertes des deux régiments.
Sans être très sûr d'être à nouveau utilisé, l'entraînement va reprendre en Écosse et permettre de former en accéléré les nouveaux qui débordent d'enthousiasme. Début avril, on ne peut pas dire que les SAS s'y attendaient lorsque l'ordre de rejoindre le camp secret arriva subitement aux PC des 3e et 4e SAS. Il était signé du général Mike Calvert, leur nouveau patron qui s'était illustré dans la jungle de Birmanie contre les Japs. C'est lui qui, quarante-huit heures avant le départ, indiquera aux chefs de sticks réunis, qu'ils sauteront dans la province du Drenthe dans la Hollande germanique et que la mission aura pour nom de code "Amherst".
Les sticks du 3e SAS, dont le colonel Paris de Bollardière a pris le commandement, seront largués à l'Ouest d'une ligne Groningen, Assen et Spier, ceux du 4e SAS sous les ordres de Puech-Samson à l'Est.
Ultime mission des SAS en Hollande
La Ve armée canadienne étant bloquée à Coeverden et d'importantes forces ennemies étant concentrées dans cette partie de la Hollande, dont la 6e division parachutiste allemande, il faudra créer la plus grande confusion sur les arrières et les désorganiser pour que l'opposition faiblisse et que les alliés reprennent leur progression.
Dans la nuit du 7 au 8 avril, en plus de tous les sticks des deux régiments, un nombre considérable de mannequins seront parachutés dans le Drenthe pour que l'ennemi ne sache plus démêler l'importance des vrais par rapport aux faux. La mission était prévue pour durer quatre à cinq jours au plus. Certains ne furent récupérés qu'après avoir passé douze jours à se battre dans le dispositif ennemi.
On ne peut pas dire que la précision du largage ait été le point fort des pilotes cette nuit-là. Quinze à vingt kilomètres d'écart fut la moyenne d'erreur pour chaque stick ce qui provoquera pour beaucoup, dans une région pauvre en couvert, bien des difficultés et même des drames, aggravés par une altitude de parachutage inhabituelle.
Afin de permettre de nuit un regroupement plus facile dans chaque stick, la règle était de les dropper le plus bas possible, 200 mètres environ le plus souvent. En effet, se retrouver au sol, de nuit, sans pouvoir sonner du clairon pour se rassembler, a toujours été le premier problème à résoudre. Il pouvait y avoir de très grands écarts entre certains éléments. Pire ils pouvaient être séparés par des obstacles importants. Seule parade, limiter au maximum le temps de descente.
Il se trouve que pour "Amherst" une nouvelle méthode de navigation aux instruments devait être expérimentée et, lorsque la lumière verte dans les avions donna le signal du saut ponctué par le Go retentissant des dispatchers, sans en avoir été prévenus, nous étions à plus de 400 mètres d'altitude.
Au petit matin après des heures de recherches dans tous les sens, malgré les boules lumineuses sur les casques et les sifflets imitant les cris d'oiseaux, on ne comptait plus les sticks aux effectifs incomplets ne sachant pas où ils étaient tant l'écart avec la dropping zone était grand. Pour la plupart, les premières clartés du jour leur permirent de constater qu'ils se trouvaient en terrain nu avec aucun couvert en vue. On ne pouvait pas balancer des gars derrière les lignes ennemies pour accomplir leur mission dans d'aussi désastreuses conditions.
En bien des lieux cela provoqua des drames. Que faire lorsqu'un stick se retrouve après des heures de recherches infructueuses, en pleine nature dans un lieu inconnu sans le moindre taillis à l'horizon pour se camoufler ? Pour beaucoup ce fut la loterie.
Tous avaient une lettre signée de la reine Wilhelmine enjoignant à ses sujets de nous apporter aide et assistance. Elle permit à la plupart d'attendre, à l'abri, dans une grange, la nuit suivante pour passer à l'action.
Pour deux sticks à quelques kilomètres l'un de l'autre, ce fut tragique car, dénoncés à peine installés, et se croyant en sécurité, ils étaient encerclés et attaqués. Ne répondant pas aux sommations, ils engagèrent un combat inégal. L'ennemi ayant mis le feu aux bâtiments, le lieutenant Valayer et cinq de ses hommes, refusant de se rendre, périront brûlés vifs. Le lieutenant Rouan, de son côté, était parti avec quinze hommes. Deux seront brûlés vifs, onze seront blessés dont lui-même, très grièvement, en effectuant depuis sa grange en feu, une sortie désespérée à la grenade.
Et pourtant, malgré tout, avec des sticks la plupart du temps incomplets, globalement les objectifs prévus furent atteints. Les imprévus aussi, telle l'attaque, à Westerbork, du PC de la Feldgendarmerie en Hollande qui fut détruite par les hommes de Puech-Samson et du lieutenant Betbeze, renforcés par des éléments isolés retrouvés par hasard.
C'est dans cette province du Drenthe que se terminera la longue bataille menée par les paras de la France libre du Special Air Service. Dernières victoires. Derniers sacrifices.
En trois ans et demi de combats sur tous les fronts leur drapeau sera le plus décoré de la guerre, recevant la Croix de Compagnon de la Libération, la Légion d'honneur, la Croix de guerre avec sept palmes, l'US bronze Star, le Lion de bronze hollandais.
Le général de Gaulle les citera ainsi :
"Pour les parachutistes, la guerre ce fut le danger, l'audace, l'isolement.
Entre tous, les plus exposés, les plus audacieux, les plus solitaires, ont été ceux de la France libre.
Coups de main en Crète, en Libye, en France occupée ; combats de la Libération en Bretagne, dans le Centre, dans l'Ardenne, avant-garde jetée du haut des airs dans la grande bataille du Rhin ; voilà ce qu'ils ont fait, jouant toujours le tout pour le tout, entièrement livrés à eux-mêmes, au milieu des lignes ennemies. Voilà où ils perdirent leurs morts et récoltèrent leur gloire.
Le but fut atteint, la victoire remportée. Maintenant ils peuvent regarder le ciel sans pâlir et la terre sans rougir."
Georges Caïtucoli
Président national des anciens parachutistes français libres
du Special Air Service