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LES MOUVEMENTS DE RESISTANCE /
Franc-Tireur

Des trois grands mouvements de zone sud, Franc-Tireur s'il est le plus restreint en nombre de militants, est sans doute l'un des plus originaux. Typiquement lyonnais au début, il regroupe des hommes et des femmes venus d'horizons divers et de nuances politiques variées qui s'affichent tous comme républicains et démocrates. A l'origine, se trouvent de petits cercles comme celui qu'anime Antoine Avinin autour du milieu Jeune République, Auguste Pinton et ses amis radicaux, Élie Péju et Jean-Jacques Soudeille, tous deux ex-communistes, indépendants d'extrême gauche, Noël Clavier proche de Georges Valois, qui, après avoir fondé le Faisceau dans les années trente, a évolué vers le syndicalisme de gauche.

De France-Liberté à Franc-Tireur

Opposés à l'armistice dès l'automne 1940, la ville de Lyon, alors en zone libre, offre à ces révoltés des possibilités nombreuses qu'ils souhaitent exploiter pour "faire quelque chose". Les uns comme Clavier utilisent l'appartement familial comme couverture pour leur réunion, les autres renouant avec le rôle traditionnel de sociabilité urbaine qu'offrent les cafés, se rencontrent sous le prétexte d'une partie de cartes ; ils discutent des possibilités concrètes que leur offrent les moyens d'alors. (Avinin et Pinton sont des habitués du café de la Place des Terreaux, à l'enseigne du Moulin Joli). Peu à peu, ces courants se rejoignent pour former une petite équipe qui s'intitule France-Liberté (1940). Ensemble, ils rédigent des tracts antipétainistes, tapés à un très petit nombre d'exemplaires, signés du nom de France-Liberté, qu'ils font circuler de main en main dans la ville. II est très difficile de retrouver la trace de ces premiers tracts. On a néanmoins la preuve que Auguste Pinton a été à l'origine d'un tract.

L'arrivée de Jean-Pierre Lévy fin 1940-1941 modifie ces données. Par suite de ses qualités personnelles et des circonstances, celui-ci s'impose comme le véritable chef du mouvement. Derrière lui, il a un long héritage qui le pousse à défendre la France puisqu'il est lié au milieu judéo-alsacien auquel il appartient (sa famille est installée en Alsace depuis plus de deux siècles). S'ajoute à cela un véritable culte pour la République et la démocratie dont il partage les valeurs. Enfin très jeune, en tant que chef de famille il a été habitué à endosser des responsabilités qui ont forgé son caractère. Avant la guerre, ingénieur commercial employé dans une entreprise de filature et de tissage : Weill et Cie, son travail le conduit à Lyon puis dans de nombreuses villes du sud. Mobilisé comme lieutenant de réserve au moment de l'offensive allemande en mai 1940, il est cantonné dans l'Est de la France et prend alors conscience de l'état de choc dans lequel le pays est plongé. Après la défaite, à l'automne 1940, le jeune homme (il n'a pas 30 ans) se fixe à Lyon où s'est réfugiée sa famille et noue ses premiers contacts avec des Alsaciens installés dans la capitale rhodanienne : Pierre Eude, secrétaire général de la Chambre de commerce de Strasbourg ou Henri Feldman.

Grâce à son réseau d'amis lyonnais, essentiellement des relations professionnelles d'avant-guerre, Jean-Pierre Lévy rencontre des personnes de tous bords dont les membres de la petite équipe France-Liberté. Parmi eux, le marchand de confection, Antoine Avinin qui se révèle être une véritable plaque tournante, Élie Péju, entrepreneur de déménagement dont le rôle s'avère lui aussi essentiel et Auguste Pinton, membre du Conseil municipal lyonnais. Aux dires de ses camarades qui prennent l'habitude de se tourner vers lui, Jean-Pierre développe l'effort de propagande et veut faire sortir France-Liberté du cadre lyonnais. Le seul moyen est de se procurer une ronéo. C'est chose faite grâce à Armand Noirel et à Durand-Chabert, tous deux réparateurs de machines à coudre qui trouvent également un entrepôt où tirer et stocker les tracts ; le chiffre de 200 est bientôt atteint. L'étape suivante, la création d'un journal, donne lieu à des discussions au sein du groupe. André Gayet, en désaccord avec l'idée car à ses yeux "ce n'est pas avec du papier que l'on gagnera la guerre", quitte l'équipe tout en restant très proche de certains camarades.

Le journal : Le Franc-Tireur

Le premier numéro du Franc-Tireur paraît en décembre 1941 au prix de difficultés inouïes. Il est imprimé chez Henri Chevalier et tiré à 5 000 exemplaires. Le titre suggéré par Jean-Jacques Soudeille et retenu n'est pas anodin : c'est une allusion aux jours terribles de la guerre de 1870 qui avait vu se créer une armée de volontaires "hors la loi", prêts à défendre la République et la patrie. L'humour est également présent puisque sous le titre figure la manchette suivante : "Mensuel dans la mesure du possible et par la grâce de la police du Maréchal". Toute l'équipe participe à la rédaction de ce premier numéro qui contrairement à d'autres titres n'est pas numéroté. L'éditorial "Rassemblement" est un appel à toutes les énergies et les bonnes volontés. Chaque mois, d'autres numéros suivent dont le tirage ne cesse d'augmenter. L'originalité du journal est d'avoir à sa tête, à partir de mars 1942, un homme de métier en la personne de Georges Altman, journaliste au Progrès de Lyon qui devient rédacteur en chef du Franc-Tireur clandestin. Dès lors, le journal achève de se débarrasser de ses imperfections. Brillante, la plume de Georges Altman qu'il met sans réserve au service du Franc-Tireur est facilement identifiable. Imprimés à Lyon, Miribel, Saint-Étienne, Morez, Aibi, Paris, 37 numéros paraissent jusqu'au numéro libre du 21 août 1944. D'emblée, Le Franc-Tireur se fait remarquer par son ton, par la virulence de ses propos envers l'occupant, Pétain et toute sa "clique" : Laval et la collaboration font l'objet d'attaques très vives. Il défend ardemment la démocratie et la République. Plus tard apparaissent les problèmes d'autorité face à la France Libre et au général de Gaulle, Georges Altman et certains membres de Franc-Tireur se montrant au départ très réticents envers ce dernier. La querelle Giraud - de Gaulle finit par mettre fin aux hésitations. Auparavant, face à l'envoyé de la France Libre, grâce à l'attitude de Jean-Pierre Lévy, Franc-Tireur avait adopté une position nuancée et conciliante.

Franc-Tireur

Autour du journal se greffe un mouvement de résistance, Franc-Tireur qui va devenir l'un des trois grands de la zone sud. Peu à peu Jean-Pierre Lévy prend en main les destinées du journal. Il y a à cela plusieurs raisons. Le fait qu'il soit disponible, célibataire sans charge de famille mais surtout sa position de cadre commercial qui l'autorise à aller et venir en zone non occupée. Chaque passage dans les principales villes de la zone Sud où il a des relations est l'occasion de tisser un réseau ou d'utiliser les relations d'avant-guerre. Roanne, Saint-Étienne, Marseille, Toulon, Clermont-Ferrand deviennent des centres actifs. Bientôt le mouvement est implanté dans la vallée du Rhône, dans la Loire, les Alpes, à Grenoble autour du docteur Léon Martin, sur la côte méditerranéenne, le Massif central, le Cantal où grâce à Antoine Avinin il est très présent. Le mouvement se fait également remarquer par la sortie d'un journal satirique : Le Père Duchesne (4 numéros) dû à Georges Altman et à Élie Péju et qui connaît un vif succès. Outre la propagande, sous la direction de Benjamin Roux, s'organisent des groupes francs chargés de sabotage qui mettent sur pied entre autres une opération simultanée dans plusieurs villes en novembre 1942, avant que ne soit visée l'usine France-Rayonne de Roanne. Un cafetier, Aimé Pupin, socialiste, est avec le Docteur Léon Martin partageant les mêmes idées politiques l'un des tout premiers à trouver des "planques" dans des fermes pour cacher les jeunes refusant d'aller travailler en Allemagne. Sous prétexte de participer à des travaux de bûcheronnage, la filière conduit ces opposants à Ambel. Là s'organise le premier maquis du Vercors.

Si Jean-Pierre Lévy devient l'interlocuteur privilégié, celui qui prend les contacts avec les gens venus de Londres comme Yvon Morandat ou les dirigeants de Combat, Libération, il s'appuie sur d'autres membres de l'équipe, Élie Péju, Avinin qui prirent une part grandissante. Le dernier arrivé, par l'intermédiaire d'Avinin, et comme lui membre de la Jeune République, Eugène Petit (Claudius), se montre très actif et, après l'arrestation d'Avinin, en mai 1942 son rôle prend toute son importance.

Les coups durs n'épargnent pas la tête du mouvement. Interrogé par la police en septembre 1941, Jean-Pierre Lévy est arrêté le 24 octobre 1942, Place des Jacobins, dans un appartement qui sert de quartier général à l'équipe Franc-Tireur et réussit à s'en sortir grâce au dévouement de France Péjot et de Micheline Altman qui détournent les soupçons sur elles. Après une nouvelle alerte en décembre, il se réfugie à Miribel chez Henri Deschamp.

Les chefs de Libération et de Combat, plus âgés et mieux introduits politiquement se montrèrent parfois condescendants envers le responsable de Franc-Tireur. Pourtant dans la phase unificatrice qui s'ouvrit sous la direction de Jean Moulin, Jean-Pierre Lévy joua un rôle pondérateur qui mériterait davantage de considération. Son voyage à Londres, en avril 1943, marque une étape dans son parcours : la façon dont il fut accueilli par les services de la France libre et par de Gaulle souligne à ses yeux, l'importance que Londres accordait à la Résistance et à Franc-Tireur en particulier (le chef du mouvement est fait compagnon de la Libération).

Sans être catégorique, on peut avancer que, lorsqu'il le peut, le mouvement à gauche sur l'échiquier politique, recrute parmi des professeurs, des instituteurs, des cadres moyens ou des employés. Tous les âges sont représentés, mais les jeunes femmes furent nombreuses, plus qu'ailleurs (secrétaires, agents de liaison, responsables du service social) à l'exemple de Micheline Altman, Marie-Aimée Dufour (Marie-Aimée Péju à la Libération), France. Péjot ou Denise Jacob, Cécile Gonard-Herman.

La devise qui anime les Franc-Tireur, le ciment qui les unit tient en ces trois mots : liberté, égalité, fraternité. Plus que les autres mouvements de Résistance, Franc-Tireur s'est fait l'héritier des grands principes révolutionnaires et républicains. En lui resurgit le vieux courant jacobin, pétri de démocratie dont le journal Le Franc-tireur et Le Père Duchesne se sont faits l'écho.

Dominique Veillon

Bibliographie
Jean-Pierre Lévy avec la collaboration de D. Veillon. Mémoires d'un Franc-Tireur, itinéraire d'un résistant 1940-1944. Complexe, IHTP-CNRS, 1998, 2000
Dominique Veillon. Le Franc-Tireur, un journal clandestin, un mouvement de résistance, 1940-1944, Paris, Flammarion, 1977
Alban Vitel. La nuit sans ombre. Paris Fayard, 1970
Ruby Marcel. La Résistance à Lyon. Lyon, éd l'Hermès, 2 vol, 1979


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