"La flamme de la Résistance ne s'éteindra pas ..." avait déclaré le général de Gaulle à Londres en juin 40.
Sans doute n'imaginait-il pas, alors, que ce terme de Résistance -qu'il fut le premier à utiliser ! - allait devenir emblématique pour tous ceux et celles qui s'engageaient dans le combat libérateur.
Ce n'est donc pas un hasard si, en zone occupée, trois journaux clandestins ont successivement paru sous ce titre sans concertation préalable de leurs initiateurs.
Le premier de ces "Résistance" - celui dit du Musée de l'Homme - est sorti le 15 décembre 1940 et il revêt une importance capitale aux yeux de l'histoire.
Non qu'il eût marqué les débuts de la presse clandestine. Plusieurs feuilles comme L'homme libre, L'Université libre, L'étudiant patriote, Libre France, Maintenir, Pantagruel et Libération (le journal de Christian Pineau), l'avaient, en effet, précédé de peu, et il ne se distinguait d'eux ni par sa présentation, ni par l'importance de son tirage. Non, ce qui le caractérisait, c'est que, d'une part, des intellectuels de haut niveau étaient associés à sa création et que, d'autre part, il jetait les bases d'une véritable organisation bien structurée en vue des luttes futures. Les nazis ne s'y trompèrent pas qui s'acharnèrent à étouffer dans l'œuf cette menace nouvelle et se livrèrent à une répression impitoyable pour empêcher qu'elle ne fît tâche d'huile.
Résistance avait été créé à l'initiative de deux jeunes savants du Musée de l'Homme, Boris Vildé et Anatole Lewitsky, et rassembla très vite des figures marquantes du monde des lettres - Claude Aveline, Jean Cassou, Simone Martin-Chauffier (Louis était encore en zone libre), Jacques Debu-Bridel et Jean Paulhan -, du barreau - Léon-Maurice Nordman et Jean Jaudel -, de l'Université - Germaine Tillon, Yvonne Oddon, Marcel Abraham, Agnès Humbert, Paul Rivet ou Paul Langevin -, et des journalistes - Victor Basch, Albert Bayet et Pierre Brossolette.
Une telle réunion d'intellectuels était significative à un moment où Vichy se targuait d'être suivis par les élites du pays !
Par ailleurs, Résistance plaça immédiatement son combat sous le signe de l'action et se déclara, un peu témérairement, "Bulletin officiel du Comité national de Salut public".
"Résister - y lisait-on - c'est surtout agir…". Et la suite était plus précise encore : "Patiemment, difficilement, nous avons cherché et réuni des groupes qui se trouvaient isolés. Ils sont déjà nombreux (plus d'une armée à Paris seulement), les hommes ardents et résolus qui ont compris... qu'il leur fallait une méthode, une discipline, des chefs".
Bien entendu, on ne saurait parler encore de réseau ou de mouvement mais le chemin était tracé et le schéma parfaitement dessiné. Résistance va donc s'employer, dans un premier temps, à aider les prisonniers évadés. Ils seront hébergés dans un hôtel de passe près de la gare Saint-Lazare. On trouvera, ensuite, des passeurs pour leur faire franchir la ligne de démarcation, puis d'autres pour les acheminer en Espagne, via les Pyrénées.
Déjà on commence à collecter des renseignements et à former des groupes paramilitaires. Les jeunes recrues seront groupés par "dizaines" et encadrés par des officiers ou des moniteurs de gymnastique. Bien sûr, on en recrutera en dehors de la capitale, dans l'Ouest notamment et jusqu'en zone Sud à Toulouse, Marseille et Lyon…
Vildé, notamment, a compris immédiatement les impératifs de la clandestinité et, en véritable visionnaire, il se fera l'architecte de la future Résistance, prônera son union, fixera ses buts et ira jusqu'à prévoir qu'elle jouera un rôle capital au moment de la Libération qu'il situe...en 1944 !
Par l'intermédiaire de Jacques Billiet, il prend contact avec Georges Politzer et les dirigeants du parti communiste clandestin dans le même temps qu'il accueille les colonels Hauet et de la Rochère qui témoigneraient plutôt de sentiments royalistes.
Le Mouvement est en marche, mais, comme tous les mouvements naissants, il souffre d'un manque de liaison avec les émissaires gaullistes ou les agents anglais qui seuls pourraient lui procurer de l'argent, des armes et des moyens de transmissions.
Certes, Me Nordman a rencontré un de ses collègues et ami, Weil-Curiel, que le général de Gaulle a chargé le 25 août 1940 d'une mission d'information à Paris. C'est encourageant mais Weil-Curiel n'est là que pour prendre le pouls de la population et ne peut rien pour aider matériellement les résistants. Les premiers envoyés du BCRA, Duclos (Saint-Jacques) et d'Estienne d'Orves ne réussiront pas à rencontrer les animateurs de Résistance qui, d'ailleurs, entendent garder une totale indépendance.
"Pas d'actions dispersées, pas de gestes isolés. Faîtes confiance à vos chefs. Ne vous impatientez pas..." peut-on lire dans le numéro 2 de Résistance en date du 30 décembre 1940.
Mais déjà la répression commence. En janvier 41, Nordman est arrêté. Puis Boris Vildé, Yvonne Oddon et Lewitzky... D'autres arrestations suivront et Pierre Brossolette devra assurer seul la parution du quatrième et dernier numéro de Résistance le 1er mars 1941.
C'en sera fini dès lors de la glorieuse aventure ! Le mouvement, décapité, va se disperser. Certains groupes vont se survivre un temps, notamment en province, d'autres seront "récupérés" par Valmy et Ceux de la Résistance.
Le 6 janvier 1942, s'ouvrira le procès des animateurs du Musée de l'Homme. Il durera six semaines. Le verdict tombera le 17 février : 10 condamnations à mort ! Sept hommes dont un garçon de 19 ans seront fusillés au Mont Valérien le 23 février et parmi eux Boris Vildé qui demandera à être exécuté le dernier. Les trois femmes condamnées à mort seront déportées. Mais grâce au sacrifice d'Agnès Humbert et au silence des autres condamnés, des membres importants de ce premier Résistance échapperont à l'arrestation. Et parmi eux, Simone Martin-Chauffier, Léo Hamon et Pierre Brossolette.
Six mois plus tard, Robert Guédon reprendra le titre de Résistance pour un seul numéro de ses Petites ailes et, à partir d'octobre 1942, un troisième Résistance paraîtra à l'initiative de Jacques Destrée...
André Lafargue