par le général de Corps d’Armée (CR) Georges Roidot
Président de l’Amicale des anciens de l’ORA
Intervention du général de Corps d’Armée Roidot à Saint Cyr-Coëtquidan
Après deux années à Saint-Cyr, replié à Aix-en-Provence, je suis affecté, le 1er octobre 1942, comme sous-lieutenant au 1er Régiment d’infanterie alors stationné dans le Cher, au sud de la ligne de démarcation, jusqu’à la dissolution de l’armée de l’armistice le 27 novembre 1942.
En février 1943, je décide, avec deux camarades, de partir en Afrique du Nord en passant par l’Espagne. Après avoir franchi en fraude la ligne de démarcation qui n’était pas encore supprimée, je tiens, par un réflexe de discipline, à avertir mon colonel qui est resté sur place, de ma décision de rejoindre l’Afrique du Nord. Celui-ci me dit immédiatement : "Il n’en est pas question. Le général Giraud a fait parvenir un message disant qu’il va faire réarmer l’armée d’Afrique par les Américains et qu’il faut faire passer en AFN les spécialistes : aviation, blindés et troupes nord-africaines, mais que les jeunes comme vous doivent rester en métropole pour encadrer la Résistance".
Mes camarades ont, de leur côté, rejoint leurs anciennes garnisons, et je me suis mis à la disposition de mon colonel. J’ai appris depuis que cette directive Giraud avait été apportée au général Frère par l’agent de contre-espionnage Thoraval, aérotransporté de Londres, et que plusieurs filières allaient acheminer les "spécialistes" par l’Espagne.
Je m’installe donc à Saint-Amand-Montrond et je constate que, grâce notamment à l’aide du sous-préfet du Cher Sud (le département du Cher était coupé en deux par la ligne de démarcation), plusieurs officiers et de nombreux sous-officiers du régiment sont restés sur place, recasés notamment dans les administrations et les entreprises. Un capitaine est même chargé du service du travail à la sous-préfecture.
Pour ma part, je reçois l’ordre de créer un chantier de distillation de bois où seront employés une vingtaine de militaires démobilisés. De plus, comme j’ai été scout, on me demande de prendre la direction des scouts du département car je suis également chargé de monter le service de renseignement du régiment, et le scoutisme me permettra ainsi de justifier mes déplacements. Enfin, je fais désormais partie de l’équipe secrète du régiment chargée notamment de réceptionner d’éventuels parachutages. À cet effet, en mars 1943, un certain capitaine Lejeune (Saint-Cyr 25-27), venant de Londres, nous donne des consignes pour commander puis recevoir des parachutages.
C’est ainsi que le 18 avril 1943, nous recevons le premier des parachutages destinés à l’ORA (Organisation de résistance de l’armée) bien que je n’aie jamais entendu ce sigle avant la Libération !
Je me lance donc avec enthousiasme dans ces différentes activités, d’autant plus que nous recevons un deuxième parachutage le 20 juin, alors que la veille nous étions rassemblés à Saint-Amand pour commémorer la bataille de Fleurus, fête traditionnelle de mon ancien régiment, et recevoir des consignes de la part du colonel.
Arrestation du général Frère
Nous ignorions évidemment qu’au cours de ce mois de juin le général Frère et plusieurs de ses généraux qui étaient à la tête de l’ORA étaient arrêtés et qu’il en était de même pour Jean Moulin et pour le général Delestraint, chef de l’Armée secrète.
L’ORA avec le général Verneau
Pour l’ORA, la succession est assurée par le général Verneau, ancien chef de l’état-major de l’Armée, aidé du colonel Zeller pour le Sud-Est, du colonel Pfister pour le Sud-Ouest et du commandant Cogny pour la zone Nord.
L’arrivée du général de Gaulle à Alger, où il est coprésident du Comité français de libération nationale (CFLN) avec le général Giraud, crée une situation nouvelle. Ainsi, le général Verneau assiste, le 12 août, à la réunion du comité de coordination des mouvements de la zone Nord et établit début septembre un accord avec le colonel Dejussieu-Pontcaral, chef d’état-major de l’Armée secrète en zone Sud.
Les contacts de l’ORA avec les mouvements de Résistance se développent également aux échelons régionaux mais, pour être acceptée, l’ORA doit se démarquer nettement du gouvernement de Vichy et des militaires qui lui restent fidèles dont ceux du 1er Régiment de France. Ce régiment, créé par Laval, est malencontreusement installé dans d’anciennes garnisons du 1er Régiment d’infanterie, sans doute pour créer une certaine confusion, mais, heureusement, notre drapeau est déjà passé dans la clandestinité depuis novembre 1942 et ne réapparaîtra qu’en juin 1944. Néanmoins, ce voisinage nous posera de nombreux problèmes.
Tout ceci explique pourquoi le colonel Pfister, le 13 septembre 1943, précise dans une directive adressée aux chefs régionaux de l’ORA : "Avec les mouvements de Résistance, les contacts se poursuivront aux échelons supérieurs en vue d’aboutir à des instructions communes données aux groupements locaux… Nous ne reconnaissons aucun autre gouvernement que celui émanant du CFLN. En particulier, nous tenons le Maréchal pour mort depuis le 9 novembre 1942..."
De plus, comme le général Giraud est toujours commandant en chef, le général Verneau envoie le colonel Zeller en liaison à Alger. Celui-ci y arrive par sous-marin le 28 septembre et rencontre successivement les généraux Giraud, de Gaulle et Juin. Il rentre en métropole le 20 octobre en passant par Londres où il a été accueilli par le commandant Lejeune et le colonel Buckmaster. Il a juste le temps de rendre compte au général Verneau des encouragements qu’il a reçus tant à Alger qu’à Londres.
En effet, les polices allemandes ne perdent pas leur temps. Le 1er octobre, le SS capitaine Hugo Geissler du KdS Vichy a fait arrêter toute l’équipe du colonel Boutet, chef de l’ORA en Auvergne ; tandis que le 14 octobre, le trop célèbre Bleicher de l’Abwehr réussit à substituer un agent double à un officier du SOE venu de Londres pour rencontrer les chefs de l’ORA. Après une semaine à Paris passée avec le commandant Cogny qui l’a bien renseigné, cet agent double permet l’arrestation le 23 octobre du commandant Cogny, du général Verneau, du capitaine Couetdic, responsable de l’ORA pour l’Est ainsi que de Farjon, du mouvement de l’Organisation civile et militaire (OCM).
Exploitant les renseignements recueillis, les polices allemandes s’attaquent ensuite aux groupements régionaux de l’ORA et, par exemple, au 1er RI et je serai ainsi un des premiers concernés.
En effet, le 10 décembre 1943, la Gestapo de Bourges, aidée par la Milice, surprend au lever du jour, à Saint-Amand-Montrond, le commandant Rauscher, un des commandants de bataillon du 1er RI, et vient ensuite m’arrêter au milieu de mon chantier forestier. Je prétends être là pour mon ravitaillement personnel et être normalement employé à la sous-préfecture, au service du STO (Service du travail obligatoire). Ce qui est partiellement exact car, à la suite de la démission du capitaine qui commandait ce service, j’occupe sur ordre de mon colonel, et avec l’accord du sous-préfet, un emploi de complaisance où je peux dépanner, avec de vrais faux papiers, les résistants et les réfractaires.
Après hésitation, les Allemands me passent les menottes et débarquent à mon bureau à la sous-préfecture. C’est alors la chance de ma vie : le sous-préfet reproche vivement aux Allemands leur irruption dans ses services et se porte garant de ma loyauté. Ce sous-préfet est René Érignac, le père du préfet de la Corse.
Les Allemands hésitent, puis me libèrent. Je vivrai ensuite pendant six mois sans domicile fixe, mais en faisant cependant des apparitions dans mon bureau pour continuer à tromper les Allemands. Pendant cette période, je mettrai en place le noyau mobilisateur de ma compagnie de maquis dans les bois du sud de Bourges, et je procéderai au noyautage du chantier de jeunesse de Bruères.
Mais les Allemands continueront à poursuivre les cadres du régiment. Le colonel Bertrand, pour plus de sécurité, s’installera à Paris, d’autant plus qu’il assure le commandement de la région Centre de l’ORA. Il échappera à plusieurs arrestations mais six officiers du régiment seront déportés, dont le commandant Rauscher. De plus, le commandant Duchatelet, ancien commandant du 1er bataillon du 1er RI, sera assassiné par la Gestapo.
L’ORA avec le général Revers
Mais revenons à l’ORA où le général Revers assure la relève de l’équipe Verneau. Il garde en réserve le général d’Anselme, prend comme chef d’état-major le colonel Brisac et désigne le commandant Ailleret comme successeur du commandant Cogny pour la zone Nord, les colonels Zeller et Pfister conservant leurs responsabilités respectives pour le Sud-Est et le Sud-Ouest.
Il précise par plusieurs directives les principes d’action de l’ORA, mais sa préoccupation essentielle est de faire réaliser l’union des formations militaires de la Résistance.
Le général Revers se trouve, en effet, devant une situation politique nouvelle car le général Giraud n’est plus coprésident du CFLN tout en restant cependant commandant en chef.
Aux échelons régionaux, l’union des formations militaires se réalise progressivement, mais par contre, à l’échelon national, il faudra, pour que l’ORA soit intégrée aux FFI (Forces françaises de l’intérieur) que le 14 février 1944, le Conseil national de la Résistance donne un avis favorable et que le 10 mars 1944, le général de Gaulle le décide, et que, par surcroît, il donne au général Revers une place au sein du Comité d’action militaire de la Résistance (COMAC) afin d’ "équilibrer les tendances".
L’ORA dans les régions
Je n’ai pas le temps de vous présenter tous les chefs régionaux de l’ORA qui ont souvent été les acteurs de l’intégration dans les FFI. Je vais donc me limiter à ceux de la zone Sud qui ont eu souvent des responsabilités particulières.
Le commandant Descour pour la région R1 (Lyon) a été l’artisan de la fusion de l’Armée secrète (AS) et de l’ORA. Il a été le chef d’état-major de la région FFI, chargé particulièrement des Alpes et donc du Vercors.
Le capitaine Lecuyer pour la région R2 (Marseille) ; il a été, un temps, chef d’état-major de la région FFI. Il aura un rôle essentiel dans la conduite des opérations en liaison avec le débarquement de Provence.
Le colonel Guillaut pour la région R3 (Montpellier) avait réalisé l’union ; il sera malheureusement arrêté en juin 1944 et assassiné.
Le capitaine Pommiès, utilisant notamment les dépôts d’armes clandestins de l’Armée, a constitué sur l’ensemble de la région R4 (Toulouse) un groupement de plusieurs milliers de combattants bien armés et bien encadrés. Il conservera dans les FFI une certaine autonomie et jouera un grand rôle dans les combats de la Libération qu’il poursuivra ensuite à Autun, puis dans les Vosges au sein de la 1re Armée.
Le colonel de Grancey pour la région R5 (Limoges) avait réalisé l’union Armée secrète-ORA mais il sera arrêté en mars 1944 et déporté, ainsi que ses deux successeurs, les commandants de Belenet et Pautet.
Le colonel Fayard pour la région R6 (Clermont-Ferrand) a succédé au colonel Boutet (arrêté le 1er octobre 1943 et fusillé) et au colonel Friess (arrêté en mars 1944 et déporté). Il sera chef d’état-major des FFI puis commandera la Division légère d’Auvergne qui participera à la reddition de la colonne Elster.
Le colonel Zeller, qui avait été désigné par le COMAC pour coordonner les actions des régions FFI R1 et R2, partira le 2 août, cette fois-ci par avion à Alger, pour rendre compte au général de Gaulle de la situation des FFI dans le Sud-Est.
Le général l’enverra immédiatement à Naples pour renseigner le Commandement allié. Ce Commandement finira par tenir compte des renseignements apportés et décidera, pratiquement au cours du débarquement de Provence, de lancer une colonne américaine en direction de Grenoble par la route Napoléon rendue libre par l’action des maquis.
En conclusion, j’ai eu la joie, en septembre 1944, de participer à la tête de ma compagnie aux combats de la libération de Bourges, puis à la reddition des 17 000 Allemands de la colonne Elster.
Cet engagement a eu deux phases.
Dès le 6 juin, activité de petits corps francs constitués essentiellement des cadres des quatre sections de ma compagnie de maquis : sabotage de la voie ferrée, récupération d’armes à Bourges ainsi que de chaussures pour le régiment (1 000 paires au centre de libération des prisonniers de guerre) et de matériel divers au chantier de jeunesse de Bruères, tout en installant des bivouacs de section dans les zones boisées au sud de Bourges. Pendant ce temps, l’AS et les FTP (Francs-tireurs et partisans) avaient libéré, malheureusement très provisoirement, Saint-Amand-Montrond, détruit la Milice, puis s’étaient repliés sur la Creuse après l’arrivée, dès le 8 juin, d’un bataillon allemand. Celui-ci a procédé à des représailles, avec l’aide de la Milice de Vichy, et a installé le milicien Lecussan à la sous-préfecture. Le 1er Régiment de France n’avait pas bougé.
Tout change le 15 août : le colonel Bertrand reçoit, par la mission Jedburgh qui est dans le Cher, un message particulier "En avant la Cavalerie" du général Koenig qui prescrit l’insurrection généralisée de façon à aider indirectement le débarquement de Provence.
Des embuscades sont alors placées sur toutes les routes, ma compagnie étant chargée de la route Saint-Amand-Bourges, au nord de Levet, où elle intercepte des détachements d’isolés très divers tels des Français de la Gestapo d’Orléans, des équipages de bâtiments de la Marine allemande, des cyclistes, etc.
Mais nous serons bientôt submergés par le passage en force des unités de combat du 64e Corps d’Armée qui se replie du Sud-Ouest en direction de Dijon.
Le calme revient un peu fin août et ma compagnie participe à la libération de Bourges, le 6 septembre, en occupant l’aéroport civil.
Mais une colonne allemande venant du Sud-Ouest réoccupe Châteauroux et va continuer vers l’Est. Ma compagnie est alors installée en couverture de Bourges face au Sud.
La reddition de la colonne Elster
Cette colonne est l’arrière-garde du 64e Corps d’Armée allemand qui, depuis le 15 août 1944, évacue le Sud-Ouest de la France.
Son objectif est Dijon, puis l’Allemagne. Le 3 septembre, sa tête est à Poitiers. Elle a donc à franchir successivement : Creuse, Indre, Cher, Allier et surtout la Loire pour poursuivre en direction d’Autun.
Le détachement de tête, Bauer, franchit en force toutes ces coupures et arrive à Autun le 8 septembre après une attaque par les FTP locaux. Il est attaqué ensuite par le groupement Pommiès, de l’ORA, qui arrive de Toulouse dans le cadre de la Division légère FFI de Toulouse. Pommiès bénéficie alors de l’appui du 21e Dragons du colonel Demetz, reconnaissance de la 1re Armée ; Bauer ne se rendra que le 10 septembre.
Les autres détachements de la colonne Elster franchissent à leur tour l’Indre, le Cher et l’Allier, attaqués par les groupements FFI locaux , des jeeps armées des SAS (Special air service) français venus de Bretagne et par l’aviation alliée.
Ils rencontrent ainsi successivement :
Ils se heurtent finalement à l’obstacle de la Loire tenu par deux groupements ORA de la Division légère d’Auvergne du colonel Roger Fayard.
Ils sont bloqués au Nord par les maquis FFI du sud de la Nièvre du commandant de Soultrait (ORA) et au sud par les autres groupements de la Division légère d’Auvergne, la plupart de l’ORA.
Sans nouvelles du groupement Bauer assiégé dans Autun, Elster, qui a toutes ses unités bloquées, attaquées par les FFI et aussi par l’aviation, se résout donc à la reddition mais seulement aux Américains : il ne veut pas avoir affaire à ces "irréguliers".
Le 10 septembre à 15 heures, à la sous-préfecture d’Issoudun, il signe sa reddition avec le général Macon qui commande la 83e Division US au nord de la Loire. Ce document est cependant contresigné par le colonel Chomel de l’ORA de l’Indre. Les Allemands, qui se trouvent maintenant entre Cher et Loire, doivent aller rendre leurs armes aux Américains aux ponts de la Loire, vers Beaugency.
Le colonel Bertrand, qui a maintenant dans sa zone d’action l’essentiel de la colonne Elster exige qu’Elster vienne négocier avec lui les conditions d’exécution de ses mouvements vers la Loire.
Le 11 septembre à 15 heures, dans la mairie d’Arcey, Elster signe avec le colonel Bertrand un protocole pour ces mouvements qui se dérouleront du 13 au 16 septembre dans des couloirs contrôlés par les FFI, en évitant les agglomérations.
Je termine en disant que le groupement Bertrand, de la valeur d’une brigade, regroupant des FFI du Cher de toutes sensibilités, ira assiéger Royan puis, rééquipé en matériel anglais, participera à la fin de la campagne d’Allemagne au sein d’une des divisions d’origine FFI de la 1re Armée.