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LES RESEAUX / La Radio Clandestine

Aspects techniques des liaisons radio clandestines

Une liaison radio clandestine, qu'est-ce au juste ? C'est un échange de messages codés transmis par radio. Ces messages s'échangent entre un émetteur fixe appelé "La Centrale" ou "Home Station", installé en territoire libre, l'Angleterre ou l'Algérie libérée, et un émetteur-récepteur mobile appelé "La Station" ou "Out Station", fonctionnant en territoire contrôlé par l'ennemi, la France.

Les messages sont émis dans les deux sens :

Dans quelles conditions techniques doit-on travailler ?

La liaison doit être assurée du Pas-de-Calais (200 km) comme du Midi (1 500 km).

On doit pouvoir disposer d'un grand nombre de longueurs d'onde (fréquences). Ces fréquences doivent être nettement séparées les unes des autres pour éviter des interférences. On doit disposer d'une puissance suffisante pour être entendu par la Centrale sans cependant perturber les récepteurs situés au voisinage de l'émetteur.

Ces conditions obligent à employer :

Les matériels

Quel matériel employer ?

Entre le début et la fin de la guerre, ce matériel a subi des perfectionnements considérables. À titre d'exemple, son poids a évolué de 20 kg en 1941 à 4 kg en 1944.

Voici les caractéristiques de quelques postes-valises :

Date de mise en service Type Puissance antenne Poids Dimensions Observations
1941 MD XV 15/20 W 20 kg 2 grosses valises Utilisé surtout par l'IS britannique
Fin 1942 AMK II 5 W 9 kg 380 x 240 x 100 De loin le plus employé
1943/44 3 MK II (ou B2) 20 W 15 kg 420 x 270 x 150 Excellent, puissante antenne, dangereuse en ville
1943 PARASET 4 - 5 W 4,5 kg 2 coffrets de 220 x 210 x 110 C'est le minimum de puissance nécessaire
1943 BP 3
AP 4
30 W
8 W
7 kg
4 kg
280 x 210 x 140
280 x 210 x 95
Matériel réalisé par des techniciens polonais à Londres

Le poste émetteur-récepteur de loin le plus utilisé est le AMK II. Sa constitution en trois boîtes séparées, récepteur/émetteur/alimentation, facilite son camouflage.

Le transport de ce matériel depuis sa fabrication en Angleterre jusqu'à son utilisation en France comporte deux phases. La première consiste à le parachuter en France dans des containers où se trouvent rassemblés les émetteurs-récepteurs, les dispositifs d'alimentation, les accumulateurs et les chargeurs de ceux-ci, à main ou à pédales, les quartz, les plans de travail, les codes, etc. L'exécution de cette opération incombait aux services spécialisés de la Royal Air Force et aux équipes d'atterrissage et de parachutage de la Résistance, lesquels, les uns comme les autres, accomplirent leur tâche, s'agissant de l'Action, d'une manière exemplaire. La seconde phase consiste à répartir ce matériel entre les utilisateurs et ensuite à le déplacer continuellement pour le soustraire aux recherches de la Funkabwehr dès lors qu'il est entré en fonction et qu'il a donc été repéré.

De toutes manières, le transport de ces matériels, qu'il faut bien amener sur le lieu de l'émission, reste toujours une opération risquée.

L'opérateur, mais surtout ses agents de liaison, rivalisent d'astuces pour éviter les contrôles et les fouilles.

Le repérage ennemi

Le plus grand danger réside cependant dans la localisation de l'émission par le repérage allemand.

Pour comprendre comment repérer une émission, il faut d'abord comprendre comment se propagent les ondes radio.

La propagation des ondes radio se fait en cercles concentriques autour de l'antenne de l'émetteur. On peut la comparer aux vagues produites sur un plan d'eau par la chute d'une pierre.

Les ondes courtes se propagent de deux façons différentes :

Cette onde doit atteindre la centrale si la fréquence est correctement choisie en fonction de la distance avec Londres et de l'heure.

C'est cette même onde qui est perçue par les stations d'écoute et de repérage allemandes. Ces stations allemandes sont réparties sur toute l'Europe. L'émission clandestine est donc toujours entendue par les Allemands.

Processus du repérage par l'ennemi

Dès qu'il entend l'émetteur clandestin, le poste ennemi d'écoute alerte plusieurs stations de repérage.

Chaque station de repérage situe immédiatement par goniométrie la direction de l'émetteur par rapport à sa propre implantation. Les directions relevées par les différentes stations sont tracées sur une carte et se recoupent au lieu de l'émission : 2 à 3 minutes.

Cependant ce relèvement est fait à grande distance et sur l'onde réfléchie. Sa précision n'est pas totale. En réalité les Allemands viennent de déterminer un triangle d'environ 20 km de côtés dans lequel se situe le clandestin en train d'émettre. L'utilisation par l'ennemi d'un petit avion qui venait survoler le lieu d'émission a été signalée à plusieurs reprises.

Il est certain que le repérage radiogoniométrique opéré par un avion est d'une grande précision, parce que les signaux reçus ne sont pas affectés par des réflexions parasites sur des obstacles au sol. Dans un tel cas l'opérateur devait suspendre son émission après avoir émis le signal QAG (danger) pour prévenir la Centrale de Londres.

Le service de repérage alerte immédiatement l'équipe d'intervention la plus proche du triangle. Deux voitures partent aussitôt. Elles sont équipées de moyens de repérage et comprennent une équipe d'intervention armée.

Les voitures évoluent maintenant dans le champ de l'onde directe (onde au sol). Celle-ci permet de situer l'émetteur avec une précision absolue, au point de déterminer une chambre dans un hôtel. Pour échapper à cette véritable chasse, le gibier, notre radio, dispose de plusieurs moyens, les uns dépendant directement de lui, les autres ayant été prévus par Londres.

Protection, plan de travail, émission

Que peut faire le radio lui-même pour échapper au repérage allemand ?

Le plan de travail

Toutes ces mesures de sécurité prises personnellement seraient dérisoires si le travail n'était étroitement encadré par une organisation au sommet.

Cette organisation affecte à chaque opérateur un plan de travail personnalisé qui l'identifie auprès de la Centrale.

Ce plan de travail personnel prévoit les dates et les heures auxquelles la Centrale écoute cet opérateur. Il définit la fréquence à employer par le clandestin et celle qu'emploiera la Centrale pour lui répondre.

Il précise enfin les signaux d'appel (indicatif de 3 lettres) qu'utilisera le clandestin pour appeler et celui à utiliser par la Centrale pour répondre.

Ces plans de travail individuels font partie d'un plan d'ensemble. Ils sont conçus pour faciliter le trafic radio par un choix judicieux de la fréquence se propageant le mieux, compte tenu de l'heure de l'émission et de la distance avec Londres.

Ils sont aussi conçus pour dérouter l'écoute allemande et donc contribuent à la sécurité de l'opérateur. Par exemple :

Les services d'écoute allemands ne peuvent donc plus attribuer l'appel PRE sur 7850 à un poste déterminé (Strasbourg par exemple), il leur faudra à chaque fois procéder d'abord à un relèvement.

Ce n'est là qu'un exemple des astuces technologiques employées pour déjouer les mesures ennemies.

Il est clair que ces conditions de travail exigent du radio clandestin à la fois des qualités générales et des qualifications techniques. Le courage physique doit être complété par le sang-froid. À chaque émission le radio "sort de l'ombre" et s'expose volontairement. Chaque pression sur le bouton de son manipulateur constitue un appel à l'ennemi, une sorte de défi qui lui est lancé.

Et cependant, du début à la fin de chaque émission, le radio doit rester en possession de tous ses moyens.

La qualification technique est évidemment indispensable. Une manipulation malhabile ou lente attire immédiatement l'attention des services d'écoute ennemie et allonge la durée de l'émission.

Il est donc très important que l'opérateur clandestin soit bien entraîné à la lecture au son et à la manipulation des signaux morse. Le meilleur choix que l'on peut faire consiste à s'adresser à des professionnels pour qui ces deux activités sont familières.

Il est nécessaire, en effet, de les choisir capables de lire des signaux même faibles et brouillés par des interférences avec d'autres signaux ou par des parasites et aussi de ne commettre aucune erreur aussi bien à l'audition qu'à la transmission car les messages reçus ou transmis sont codés, de telle sorte qu'une lettre manquante ou mal transmise ne peut être devinée ou rectifiée par référence au reste du message.

Il convient donc dans toute la mesure du possible d'engager des professionnels dont on complétera l'instruction par toute une série d'indications propres à la radio clandestine à savoir :

Description d'une émission

Quelques minutes avant l'heure du rendez-vous avec Londres, l'opérateur arrive au lieu de l'émission. Un ou plusieurs guetteurs extérieurs sont en place.

Sortir l'appareil de sa cachette, le poser sur une table, dérouler le fil d'antenne sur 10 à 15 mètres (à la campagne il va se perdre dans un arbre, à la ville il zigzague d'un mur à l'autre de la pièce), relier l'appareil à une prise de courant (ou à une batterie) enficher le quartz fixant la longueur d'onde prévue, régler l'émetteur et le récepteur ; tout cela se fait en quelques minutes dans des conditions normales.

À la seconde prévue pour la prise de contact, l'opérateur lance 5 ou 6 fois son indicatif d'appel. Dès que la Centrale le perçoit, elle répond en émettant son propre indicatif. À partir de ce moment le trafic s'enchaîne : calmement mais rapidement les signaux morse crépitent, les messages sont transmis un par un, le tout entrecoupé de quelques changements de longueur d'ondes. Pendant tout ce temps le radio reste très conscient de l'écoute ennemie.

Seul un grand entraînement lui permet de se défaire d'une certaine nervosité, préjudiciable à la qualité et à la précision du travail. Vingt à trente minutes plus tard, le signal de fin de transmission est échangé, quelquefois accompagné d'une appréciation de la Centrale : "FB" (Fine Business : bon travail).

Il ne reste plus qu'à tout replier, détruire les messages transmis, effacer toute trace de ce qui vient de se passer.

Pendant ces trente minutes, ont été transmis des renseignements sur l'ennemi, des comptes rendus de sabotages et d'opérations aériennes… La liaison vitale entre les Forces françaises de l'intérieur et les Alliés de l'extérieur a été maintenue. Cette émission de trente minutes a cependant nécessité un long et dangereux travail de préparation assumé par les agents de liaison et de protection.

Le rôle de ces hommes et femmes, parfois de très jeunes gens, est à la fois capital et ingrat.

Ce récit est extrait de l'ouvrage "Les réseaux de la France combattante 1940 - 1944" Amicale des réseaux Action de la France combattante - Novembre 1986


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