Je voudrais, par les lignes qui vont suivre, évoquer une haute et emblématique figure de résistant : celle du Président Paul Didier, magistrat révoqué par Vichy pour avoir refusé de prêter serment au Maréchal Pétain. J'essaierai d'oublier les sentiments personnels de respectueuse admiration que je portais à ce magistrat d'élite dont la légendaire modestie contraria sans doute la poursuite d'une carrière qui s'annonçait des plus brillantes. Je me limiterai donc à puiser quelques citations dans le dossier des souvenirs que son fils a bien voulu me permettre de parcourir.
D'abord, dans l'hommage funèbre rendu en 1961, lors de l'audience solennelle de la Cour d'appel de Paris, par l'avocat général Lambert, lui-même ancien résistant. Je transcris.
"Septembre 1941 ! Notre pays était au fond de l'abîme. La presse de Paris, contrôlée par l'ennemi, annonçait ce jour-là que, sur une place de notre capitale, une musique militaire (dont point n'était besoin de préciser la nationalité) jouerait un hymne à la gloire de la Germanie victorieuse.
Mais dans cette atmosphère, dans ce climat, ces mêmes feuilles ne pouvaient ce-pendant dissimuler que, la veille, venait de s'accomplir un des hauts faits de l'histoire de la magistrature française : le Président Paul Didier, à cette époque juge au Tribunal de la Seine, avait refusé le serment imposé par l'Ordre nouveau.
Le lendemain, il était arrêté et devait être bientôt dirigé sur ce camp d'internement de Châteaubriant qui a laissé de si dramatiques souvenirs.
Autre témoignage intéressant. Celui, figurant sous la signature de Lucien Maury, dans un ouvrage publié par le Comité d'his-toire de la Résistance du département de l'Aude. En effet, à peine libéré du camp de Chateaubriant et assigné à résidence dans la localité de Moux (Aude), Paul Didier quitta le terrain des positions de principe pour aborder celui de l'action. Et cet homme apparemment effacé fit alors preuve d'un courage physique exceptionnel. L'ouvrage trace de lui le portrait suivant.
"Paul Didier est né en 1889 à la croisée de deux lignées de grands caractères. Ses ascendants paternels avaient préféré quitter leur Lorraine natale annexée en 1871 plutôt que de plier sous la botte allemande, Son grand-père maternel, Ferdinand Théron, farouche républicain adversaire du Second Empire, représenta le département comme député radical-socialiste pendant plus de vingt cinq ans entre 1871 et 1905.
Son père, condisciple de Barrès et de Jaurès à l'École normale supérieure, agrégé de chimie, docteur ès sciences, avait enseigné au lycée de Carcassonne. Examinateur au concours d'entrée à Saint-Cyr, il fut révoqué en 1892... pour motif politique.
Ainsi, riche d'un pareil atavisme, Paul Didier, ancien combattant de Verdun, ne devait pas succomber pour autant au mirage Pétain comme la honteuse majorité de nos députés et sénateurs du 10 juillet 1940. Il est vrai qu'ayant épousé la magistrature, il devait la marquer de la griffe d'une inflexible indépendance de caractère et de vocation, imperméable à toute pression politique comme à tout sectarisme."
Rapportons enfin, sur un plan plus anecdotique, un fait qui illustre bien la tran-quille fermeté de l'homme. En 1952, une bombe (déposée par qui?) éclata devant sa porte et détruisit son appartement, sans heureusement blesser sa famille. Informé de l'événement alors qu'il présidait une audience de la Cour d'appel, Paul Didier suspendit les débats mais revint, quelques instants plus tard, pour dire : "Messieurs, une bombe vient d'éclater à mon domicile. Excusez-moi de vous avoir interrompus. L'audience est reprise"
Rappeler ce qu'était cet acteur de notre récente Histoire était, je crois, opportun alors que certaines personnes se plaisent encore à flétrir la frilosité passée des magistrats, attitude fâcheuse certes mais qui, à bien y penser, fut partagée à l'époque (1941) par nombre de fonctionnaires ainsi que par une fraction non négligeable du peuple français.
Ceci ne donne que plus de valeur au geste symbolique de Paul Didier.
Par André Géraud