Notre camarade, le général de corps d'armée Georges Roidot a prononcé à Paris le 21 février 1990 devant l'Association générale d'Alsace et de Lorraine, une remarquable conférence consacrée à "la Résistance militaire en Alsace 1940-1944".
Nous avons pensé qu'elle intéresserait les membres de notre Association. Aussi, nous en publions des extraits.
1944
A la fin de l'année 1943, la Résistance alsacienne a rencontré quelques problèmes pour bien s'intégrer dans l'ensemble encore mal unifié de la Résistance française.
En effet, dès le début, le "Comité directeur" a tenu à affirmer que la Résistance alsacienne serait une et que, pour que cette unité soit conservée, elle ne se rallierait à aucun des mouvements de résistance existants. C'est pourquoi elle se rattachait à l'Armée française et à l'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA).
Comme l'ORA, elle a donc souffert au cours de l'année 1943 de l'affrontement Giraud - de Gaulle. Comme l'ORA, elle n'a reconnu le général de Gaulle comme son seul chef que le 27 octobre 1943 lorsque celui-ci, éliminant Giraud, fut devenu le seul président du Comité Français de Libération Nationale.
Toutefois, il faut mentionner que certains résistants alsaciens, dont Paul Dungler, étaient, malgré tout, restés fidèles à Giraud et avaient été très mal accueillis par de Gaulle. Giraud qui, jusqu'en avril 1944, était encore le commandant en chef de l'Armée française, confia même une mission particulière à Paul Dungler et le fit parachuter en France par les Américains le 8 janvier 1944. De Gaulle, l'ayant appris, en conserva quelque méfiance vis-à-vis du Comité directeur d'Alsace bien que Paul Dungler, arrêté en février 1944, n'en fit plus partie.
L'intégration de la Résistance alsacienne dans les FFI se fit progressivement.
L'Est de la France était articulé en deux régions :
- la région D (Dijon) regroupait la Bourgogne (sous-région D1), la Franche-Comté (sous-région D 2) dans laquelle étaient inclus initialement le Haut-Rhin et les Vosges;
- la région C (Nancy) correspondait sensiblement à Champagne - Ardennes - Lorraine - Alsace.
Le chef de la région D était le colonel Monnod, le délégué militaire du général Kœnig, le colonel Hanneton, le chef de la sous-région D 2, le colonel Maurin de l'ORA.
Le chef de la région C était le colonel Hirsch-Ollendorf, plus connu sous le pseudo de Grandval, du mouvement "Ceux de la Résistance", le délégué militaire régional Schock (Diagonale). Schock fut arrêté le 28 janvier 1944 et Grandval, cas unique, cumula les deux fonctions et dépendit à la fois, de ce fait, du COMAC à Paris et de Kœnig à Londres.
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En mars 1944, d'Ornant et Kibler rencontrent Grandval et décident avec son accord de constituer une unité combattante alsacienne dans les Vosges, région du Donon. Cette unité s'appellera Groupe Mobile d'Alsace -Vosges (GMA Vosges).
Au cours de cette réunion à laquelle participent également Hanneton (Ligne) et Maurin, chef de la Franche-Comté, il est décidé que le Haut-Rhin et les Vosges rejoignent la région C.
D'Ornant, qui était depuis février le chef d'État-Major de Grandval, quitte ce poste pour s'occuper exclusivement de l'Alsace au côté de Kibler, et de la Moselle pour laquelle il désigne Krieg (Grégor).
D'Ornant et Kibler, à la suite de la réunion de mars 1944, installent leur PC à Raon. Ils disposent de deux postes radio et ils chargent le docteur Meyer (Marc) et Eschbach (Rivière) de recruter le GMA Vosges qui atteignit près de 600 hommes, articulés en six centuries. La 1re centurie fut confiée à l'aspirant Ricatte (Jean-Serge) qui, pour commencer, prit en main le petit maquis de la Chapelotte avec la complicité de la gendarmerie de Badonviller. Son agent de liaison était Louis Schmieder (Petit Louis). Échappant à une attaque allemande, recueillie à Saint-Sauveur, puis à Cirey, la 1re centurie s'installa au début de juin au-dessus de Vexaincourt, toujours reliée à Eschbach par le fidèle Schmieder.
Le lieutenant Rémy (Corse), spécialiste radio, parachuté le 8 mai 1944 en Champagne, est envoyé à Grandval pour être mis à la disposition de Kibler.
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D'Ornant et Kibler, après cette mise en place, reviennent à leur PC de Couzon-au-Mont-d'Or où se tient, les 4 et 5 juin, une dernière réunion très importante du Comité directeur. Y participent Kibler, d'Ornant, Eschbach, Metz, Georges et Armbruster, spécialiste des liaisons, notamment avec Londres. Dès l'annonce du débarquement, Georges partira en Suisse pour préparer la mise au point du GMA Suisse, tandis qu'on espère que Derringer, qui est à Londres depuis début 1943, sera parachuté à Figeac pour constituer le GMA Sud.
Dans cette période qui précéda le débarquement, prirent place deux événements aux conséquences dramatiques :
- le 20 mai, 60 officiers de réserve alsaciens reconnus aptes au service dans la Wehrmacht, mais jusque-là exemptés en raison d'une disposition légale allemande comme "ayant servi comme officier dans une armée étrangère", furent convoqués au camp d'instruction SS de Cernay pour y être incorporés. 42 refusèrent; ils furent envoyés en camp de concentration, 20 seulement survécurent.
- au même moment, les jeunes Alsaciens de la classe 1946, qui avaient été obligatoirement inscrits dans les hitlerjugend, furent incorporés d'office dans les SS où ils furent l'objet d'un contrôle particulièrement renforcé.
D'Ornant et Kibler rejoignent à nouveau leur PC de Raon où ils reçoivent des appels désespérés des déportés du Struthof, dont l'une émane du général Frère qui mourra d'épuisement le 15 juin.
C'est à ce moment un véritable "coup d'envoi" de la Résistance alsacienne à la veille d'une libération qu'ils espèrent proche. Kibler décide en effet de réunir en terre d'Alsace tous les chefs de la Résistance alsacienne pour définir avec eux leur rôle et leur action sur le terrain.
Paul Friess (Jean-Paul), qui est l'adjoint de Kibler et qui dispose depuis le 1er mai à Strasbourg d'un poste radio livré à la station Esso, place Saint-André, est chargé d'organiser ce rassemblement.
Le lieu choisi est le chalet Grosskost près de Grendelbruch, à quelques kilomètres du Struthof.
La première réunion commence le 16 juin et dure dix jours. Elle est dirigée par Kibler, accompagné de Jean Eschbach. Les principaux responsables y participent, en particulier Kieffer (François), Foehr, Matter, Stouvenel, Liebengutt, Winter (Daniel).
La deuxième aura lieu le 27 juillet avec sensiblement le mêmes participants, moins Eschbach, resté en Lorraine, mais avec en plus d'Ornant et Krieger, le responsable de la Moselle, ainsi que les responsables de Thann et d'Altkirch (Eylinger).
Les comptes rendus de ces réunions sont envoyés à Londres, via Nancy, ainsi qu'une synthèse de renseignements très complète.
Entre temps, le colonel Bourgeois (Maximum), arrivé de Londres par avion dans l'Ain le 6 juillet, prend contact le 23 juillet à Raon-l'Étape avec Kibler et d'Ornant. Sa mission est, en liaison avec Kibler (Réciproque), d'armer les Alsaciens-Lorrains et de s'occuper de l'organisation des maquis des Vosges. Il est en quelque sorte le délégué militaire de Kœnig pour l'Alsace.
Le GMA Vosges se développe; la 1re centurie est le 13 juin à l'effectif 50, armée de mousquetons et de fusils de récupération. Le 11 juillet, elle prend "en stage" les futurs cadres de la 2e centurie, le sous-lieutenant Bernard Lefranc (Félix), ancien du 5e Cuirassiers, et le sergent André Lutringer (Berger).
Le 23 juillet, menacée par les Allemands, elle s'installe à 2 km au sud-ouest d'Allarmont, à l'effectif 108; la 2e Centurie se met sur pied.
Le 12 août, le GMA Vosges reçoit son premier parachutage sur le terrain "Anatomie", au nord de Senones :
- armement et équipement pour 120 hommes,
- une équipe interalliée Jedburg (Jacob), trois officiers dont un Français, le lieutenant Boissarie (Baraud),
- 12 parachutistes SAS aux ordres du capitaine Drake.
Les 13 et 14 août, Bourgeois, Kibler, d'Ornant et Georges étudient les possibilités du GMA Suisse.
Vers le 15 août, première réunion à Strasbourg du Comité de Libération du Bas-Rhin.
Le 15 août, Grandval, accompagné de Kibler et Bourgeois, vient inspecter la 2e centurie en pleine attaque allemande. La 2e centurie est dispersée et 9 de ses membres seront fusillés à Allaront le 19 août.
Le 19 août, Grandval et son escorte, après avoir échappé de justesse aux patrouilles allemandes, inspectent la 1re centurie.
Le 20 août, ils sont à Raon.
Le 27 août, les Allemands arrêtent l'équipe radio Rémy - Lutringer - Blaise dans l'école de Neufmaisons (Meurthe-et-Moselle). Ils avaient été repérés, car, sur ordre de Grandval, ils avaient dû passer un trop grand nombre de télégrammes intéressant la région C. Torturés, emprisonnés à Nancy, ils réussiront à s'évader le 1er septembre et à reprendre leurs émissions dès la libération de Nancy (15 septembre).
Dans la nuit du 30 au 31 août, nouveau parachutage sur le terrain de Veney (Pédale) du colonel Frenk, commandant le 1er Régiment SAS avec le Major Sykes et 25 SAS, ainsi que le "commandant" Derringer, destiné à prendre le commandement du GMA Vosges.
LE DRAME DE VIOMBOIS
Le 2 septembre, conférant avec le colonel Frenk, Bourgeois, Kibler, d'Ornant s'attendent à un parachutage massif. La situation générale semble le permettre. Les Allemands repassent le Rhin depuis plusieurs jours et les armées alliées approchent.
Le 3 septembre, un ordre imposé, semble-t-il par le colonel Bourgeois (Maximum), fait mobiliser les 4 centuries non armées pour servir de manutentionnaires... et de destinataires de l'armement attendu, en principe, dans la nuit du 3 au 4 septembre.
D'Ornant et Bourgeois redescendent sur Raon le 3 au soir pour prendre contact avec les résistants de Saint-Dié le lendemain. Eschbach descend avec eux à Raon.
Dans la nuit, Londres fait savoir que, par suite du mauvais temps, le parachutage est remis au lendemain.
Kibler, qui était resté en place pour assister au parachutage, quitte Viombois le 4, à 7 heures, après avoir prescrit à Meyer (Marc) :
- de disperser les personnels non armés,
- d'éviter toute activité risquant d'alerter les Allemands.
Il rejoint Raon pour accompagner Bourgeois et d'Ornant à Saint-Dié.
Mais ce même 3 septembre, Himmler, arrivé en Alsace, a repris la situation en main et, le 4 septembre, on apprenait que les troupes allemandes venaient de recevoir l'ordre de défendre coûte que coûte la ligne des Vosges. Eschbach en informait Meyer (Marc) et Derringer, et insistait sur "la nécessité absolue de se tenir tranquille".
Malheureusement, cette consigne ne fut pas respectée :
- les 650 hommes non armés restèrent groupés près de la ferme de Viombois;
- le matin, un VL avec Allemands était intercepté;
- à 13 heures, un chariot tiré par des chevaux, escorté par des Allemands était également intercepté;
- ensuite, une patrouille allemande était détruite dans une embuscade;
- cinq hitlerjugend tombaient à leur tour;
- un motocycliste allemand était tué.
Pendant ce temps, l'investissement, peut-être facilité par la trahison d'un milicien infiltré au PC du GMA Vosges, se mettait en place. L'attaque débuta à 15 h 30. Quatre assauts furent repoussés avec des pertes de part et d'autre. Les personnels non armés se dispersèrent en désordre. À 21 h 10, les Allemands se repliaient. Ils auraient eu 134 morts et 182 blessés (chiffres non confirmés, à vérifier dans les archives allemandes de Fribourg).
Au cours de la nuit du 4 au 5 septembre, les avions alliés survolaient le terrain de parachutage, mais le GMA Vosges n'était plus capable d'assurer la réception.
LE GMA VOSGES APRÈS VIOMBOIS
Après le combat de Viombois qui coûta au GMA Vosges une cinquantaine de tués, les Allemands, aidés par leurs agents français et la milice, traquèrent les rescapés du 4 septembre dans les villages et dans les bois. Beaucoup furent ainsi dénoncés et exécutés ou déportés.
En comprenant les tués à Viombois et dans les combats de patrouilles qui suivirent, et les morts en déportation, le GMA Vosges a eu au total près de 400 morts (dont 96 fusillés et 181 déportés), auxquels il faut ajouter 22 parachutistes (1 Français, 21 Anglais) abattus ou fusillés [1].
Une grande partie des survivants se camouflèrent de leur mieux; nombreux furent ceux qui s'engagèrent dans la 1re Armée
Ceux qui purent continuer le combat, se répartirent en trois groupes :
- les SAS britanniques, aux ordres du colonel Frenk. Ils furent ravitaillés par parachutage et effectuèrent de nombreux sabotages. Ayant reçu des jeeps, ils harcelèrent les Allemands sur les routes. Ils rejoignirent, sur ordre, les lignes alliées au début d'octobre.
- une vingtaine d'hommes aux ordres de Ricatte (Jean-Serge) regroupés dans la région de Ban-de-Sapt à partir du 10 septembre. Rejoints par d'Ornant le 17 et poursuivis sans relâche par les patrouilles allemandes, ils rejoignirent les lignes alliées le 8 octobre et s'engagèrent dans la 2e DB.
- une vingtaine d'hommes aux ordres de l'aspirant Vuillard (Jojo), avec Kibler, Bourgeois, Derringer et une mission anglaise. Ils reçurent un parachutage le 6 septembre et se réfugièrent dans la région de Moussey. Kibler passa seul en Alsace mais ne put avoir la liaison avec Freiss, tous les hommes étant requis pour des travaux de fortifications. Eschbach était resté à Raon pour recueillir des informations. C'est ainsi, par exemple, qu'un train de munitions et un train de chars furent attaqués par les Mosquitos de la RAF, grâce à un renseignement recueilli par Eschbach et transmis par Kibler par le poste radio des Anglais. Ce groupe rejoignit les lignes alliées, le 20 octobre.
Le GMA Vosges était le plus important maquis alsacien mais il n'était pas le seul. Je citerai pour mémoire, du Nord au Sud, les maquis :
- du Volksberg à une dizaine de kilomètres au nord de la Petite Pierre. Il fut attaqué et dispersé le 12 octobre;
- de la région de Sainte-Odile qui regroupa plusieurs centaines de réfractaires à l'incorporation dans la Wehrmacht;
- de Sainte-Croix-aux-Mines : 50 hommes bien armés;
- de la région de Thann, constitué en septembre mais détruit en octobre : 40 maquisards furent déportés, 10 seulement reviendront.
LA BRIGADE ALSACE LORRAINE ET LE GMA SUISSE
Kibler et d'Ornant furent reçus par le général Leclerc, très heureux de recueillir des renseignements précis sur le dispositif allemand, en prévision de sa percée sur Strasbourg. Mais désireux de reprendre le contact avec les groupements alsaciens de Suisse et du sud-ouest, après une liaison à Paris auprès de l'État-Major, ils se présentèrent à Besançon au général de Lattre. Accueilli chaleureusement, le Comité directeur d'Alsace fut installé à la Chaudeau près d'Aillevillers-et-Lyaumont, en Haute-Saône.
En effet, pendant que le GMA Vosges combattait dans les Vosges, les plans établis à Lyon au début de juin se réalisaient.
GMA SUD
Le Comité directeur d'Alsace, avant de rejoindre les Vosges, avait donné, par la liaison de Bernard Metz, ses consignes aux groupements alsaciens de "l'intérieur".
Ceux-ci avaient participé aux combats de la Libération aux côtés des différents groupements FFI et avaient conservé le contact avec les chefs de l'ORA et en particulier le colonel Pfister, chef de l'ORA pour le sud-ouest. Celui-ci s'opposa notamment au colonel Chevance-Bertin qui aurait voulu engager les Alsaciens sur Bordeaux. Ils purent ainsi se regrouper pour rejoindre le front d'Alsace. C'est Diener (Ancel) qui prit contact avec le commandant Jacquot et Malraux, et permit à ceux-ci, appuyés par le général de Lattre, de constituer la Brigade Alsace Lorraine.
Montant vers le nord-est, poursuivant les colonnes allemandes, elle participa aux combats d'Autun et fut intégrée comme grande unité dans la 1re Armée.
La brigade fut engagée dès le 27 septembre dans le secteur de Thillot. Elle comptait 3500 hommes le 15 novembre.
GMA SUISSE
En Suisse, le 14 juin, Georges décidait mobilisables tous les Alsaciens nés de 1904 à 1923. Kœnig confirmait cette décision le 1er août. Une première compagnie était constituée par 200 Alsaciens déserteurs de la Wehrmacht.
En juillet, 1550 futurs "GMA Suisse" furent recensés.
Le 10 septembre, le général de Lattre reçut Georges et lui donna son accord pour constituer le GMA Suisse en formation indépendante. Les officiers du GMA se réunirent à Bâle le 14 septembre.
Après accord pris aux plus hauts échelons avec le gouvernement suisse, les Alsaciens "mobilisés" par Georges furent "refoulés" par les Suisses sur la Franche-Comté à partir du 23 septembre. Inspectés par de Lattre puis par le général Bapst, équipés et instruits au camp de Valdahon, c'est avec un effectif de 2140 qu'ils constituèrent 2 bataillons (1er et 31e BCP) qui embarquèrent pour le front d'Alsace le 21 octobre.
Le vœu émis dès 1940 par les premiers Résistants alsaciens était exaucé, puisque les Alsaciens en formations autonomes, prenaient part à la Libération de l'Alsace.
Le Comité directeur d'Alsace s'efforça de coordonner toutes ces actions en établissant des liaisons avec ceux qui, en Alsace, se préparaient à aider l'Armée française, dès qu'elle atteindrait leurs villages. Regroupés au fur et à mesure des combats, les Alsaciens restés en Alsace constituèrent de solides bataillons qui furent engagés notamment pour conserver Strasbourg à la France, dans la terrible alerte de janvier 1945.
Le Comité directeur était alors au côté du général gouverneur de Strasbourg.
Général (CR) Georges BOIDOT
[1] Lieutenant-colonel RICATTE - Viombois.