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Combat pour l'Information :
Résistance n°20

Le 23 novembre 1943, le docteur Marcel Renet (Jacques Destrée) fut arrêté par la Gestapo, 30, rue de Miromesnil, alors PC du journal clandestin RÉSISTANCE, fondé par lui en août 1942.

Il était le chef du mouvement clandestin qui se créa très vite, grâce à la diffusion du journal, imprimé alors à près de 100 000 exemplaires tirés sur 4 pages.

La Gestapo savait en grande partie qui était Jacques Destrée et toute l'énorme importance de son rôle dans la Résistance. L'équipe dirigeante de l'ensemble restait réduite à cinq membres, les autres, dont André Lafargue, ayant déjà été arrêtés.

Notre souci immédiat, à Maurice Lacroix, Charles Serres, Daniel Appert, Émile Janvier et moi-même, fut de très vite faire paraître un nouveau numéro de RÉSISTANCE, portant les signatures de Jacques Destrée et Marc Antoine (ses deux pseudos pour la signature de ses éditoriaux politiques et militaires dans chacun des 19 premiers numéros du journal, le dernier en date, le n° 19, étant du 5 novembre 1943).

À ce moment, nous imprimions depuis deux ou trois numéros le journal à Alfortville, chez l'imprimeur Jacques Caroufalakis. Les "plombs" nécessaires à l'impression étaient composés, soit à Corbeil, soit à Connerré, dans la Sarthe.

Nos quatre amis cités ci-dessus se chargèrent immédiatement de la rédaction de ce futur numéro 20. Mon rôle auprès de Jacques Destrée, dont j'étais en quelque sorte le "secrétaire et confident", était principalement de m'occuper de la fabrication et de la distribution du journal RÉSISTANCE.

La rédaction étant terminée vers le 10 décembre, je suis allé aussitôt à Connerré pour faire exécuter les "plombs" sur la linotype de notre ami Beaufils (environ un jour et deux nuits de travail, où je l'aidais). J'avais 21 ans et j'étais violoniste aux Concerts Colonne, mais j'apprenais ainsi un second métier imprévu.

La composition terminée, il fallut rapporter les plombs à Paris, pour imprimer à Alfortville. Cela représentait deux paquets de 25 x 30 cm environ, mais qui pesaient chacun environ 15 kilos.

Le train Le Mans - Paris était un tortillard s'arrêtant pratiquement à toutes les stations, avec, à l'époque, au moins deux compartiments par wagon "réservés à l'armée allemande".

Compte tenu de l'impératif absolu de réussir la parution rapide de ce numéro, je pris une précaution supplémentaire en demandant à nos deux camarades, inspecteurs à la Préfecture de police, Alfred Angelot et Albert Bourgeon, de venir m'attendre à l'arrivée du train à Montparnasse-Bienvenüe, sur le quai, pour faire semblant de m'arrêter, et me permettre de franchir sans problème les barrages de contrôle des polices française ou allemande.

Une fourgonnette à gazogène devait se trouver au bas des marches, à la sortie de la gare, pour transporter les plombs à Alfortville chez Jacques (l'imprimeur).

Je pris donc le train à Connerré avec mon très pesant fardeau, m'installai dans un compartiment réservé à l'armée allemande, où se trouvait seulement une très jolie jeune femme française. Le train démarre, et je pose mes deux lourds paquets de plombs dans le filet, au-dessus de ma place contre le couloir.

Arrivé en gare de Chartres, la police militaire fait évacuer les deux compartiments, qui se remplissent de soldats et officiers allemands. La jeune femme et moi restons debout dans le couloir du wagon "archi-bourré" de monde, civils et militaires.

J'avais laissé intentionnellement mes deux paquets dans le porte-bagages du compartiment.

Le train roulait à nouveau depuis quelques minutes lorsqu'un officier allemand d'un grade élevé se lève, sort du compartiment dans le couloir, et, très galamment, propose sa place à la jeune femme qui s'y trouvait avec moi précédemment. Elle accepte. Le train continue sa marche, et l'officier m'offre une cigarette, en allumant une pour lui-même. Il parlait un excellent français.

Une idée germa soudainement en moi, devant l'apparence d'une grande culture chez mon interlocuteur, et je commençai à lui parler de musique classique. Par chance, il en était passionné, ce qui facilita l'exécution de mon plan. Étant violoniste de métier, je connaissais parfaitement ce sujet, et lui dis que je travaillais aussi au journal L'information musicale, qui était le journal informant sur tous les concerts, la musique et les artistes musiciens, mon travail, en l'occurrence, et en raison de la pénurie en matières premières, m'amenant à rapporter de province le matériel d'impression, en plomb, pour l'impression à Paris de ce journal.

Arrivant en gare Montparnasse, je descends les deux lourds paquets et demande à l'allemand de m'aider à descendre du train, en prenant l'un des deux colis. Toujours en bavardant, très décontracté, je lui explique qu'une voiture du journal m'attendait à la sortie de la gare, et je lui propose, si cela ne le gêne pas, d'avoir la gentillesse de porter l'un des deux paquets jusqu'à la voiture. Il accepte, et nous voilà marchant tous deux sur le quai.

J'aperçois au loin mes deux inspecteurs, qui me cherchaient. Nous étions convenus que, si tout allait bien, mon manteau serait boutonné, ce qui était le cas... Nos regards se croisent à leur hauteur, d'où leur totale incompréhension en me voyant les ignorer totalement.

Barrages de contrôle, police allemande au bout du quai, mais qui donc aurait pu se méfier d'un jeune Français portant le même paquet qu'un officier supérieur et parlant très gaiement avec lui !!

Les contrôles franchis sans aucun problème, il m'accompagna jusqu'à la camionnette en bas des escaliers. Stupeur du chauffeur, très vite rassuré par mes paroles. Nous posons les deux paquets dans la camionnette, je remercie alors très chaleureusement mon officier, lui dis au revoir et monte dans la voiture, qui me déposa en chemin.

Le numéro 20 de RÉSISTANCE fut imprimé vers le 20 décembre 1943 à Alfortville, et fut daté du 25 décembre 1943.

Nous pensions avoir peut-être réussi ainsi à faire croire à la Gestapo, auprès de laquelle il fut largement diffusé, que le docteur Marcel Renet n'était pas vraiment Jacques Destrée.

Mais il fut torturé et déporté à Buchenwald, d'où il revint en mai 1945.

Paul STEINER
Président du Mouvement Résistance
28 mai 1998

Propos recueillis par Josette Guillou-Honigsberg, membre du Comité directeur de ce Mouvement, membre des Amitiés de la Résistance.


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